Le chiffre, issu de l’Observatoire des métiers de l’alimentation en détail, claque fort : 95 % des boulangers et pâtissiers artisanaux avaient des difficultés de recrutement en mars dernier. De fait, partout — dans les journaux, sur les réseaux sociaux, à Pôle emploi -, les offres d’emploi sont nombreuses. « Sur Pôle emploi, mon annonce est visible dans la France entière, et ça ne change rien », assure Dan Enescu, patron des Délices gascons, à Plaisance, dans le Gers. « On passe par Pôle emploi, on a toujours des CV, mais les gens ne viennent pas ! » tonne pour sa part Isabelle Blampin, qui est à la tête de La Nougatine, à Uzès, dans le Gard, avec son mari Christophe. « Ça fait plusieurs années que l’on cherche du monde en vente », témoigne aussi Bruno Amorison, qui dirige BA, à Souillac, dans le Lot.
Les témoignages s’accumulent. Pourtant, beaucoup assurent offrir de bonnes conditions de travail. « Je donne deux cents euros net en plus du Smic et des postes de six heures par jour », argumente M. Amorison. À Plaisance, M. Enescu propose au boulanger manquant un logement, un « lieu de travail très moderne avec de l’air conditionné » et un « salaire super avantageux ». Les Toulousains de la Boulange d’Angéline mettent en avant leur choix de ne pas travailler le dimanche. Proposition que n’envisage pas La Nougatine : « Pour nous, changer d’organisation est hors de question parce que nous avons des frais. Si vous fermez davantage, il faut quand même payer les loyers, les frigos… »
Face à ce manque de personnel, comment les professionnels se sont-ils adaptés ? Côté industriel, Idiye, l’école de la chaîne Ange, va ouvrir à la rentrée un nouveau site à Bordeaux, après ceux de Wasquehal et Aix-en-Provence, histoire d’attirer de futurs salariés.
Les artisans ont, pour leur part, moins de moyens. En désespoir de cause, la Boulange d’Angéline a fini par mettre une affiche en magasin, pour espérer dénicher un boulanger. « Avec le bouche à oreille, ça a fonctionné ! » sourit le chef boulanger, Guillaume Ferrand. Mais la structure « recrute toujours, au moins un boulanger, pour la vente et les livraisons ». En attendant ces potentiels nouveaux salariés : « Je passe à la vente ou le manager en production, reprend M. Ferrand. Bref, on colmate.C’est fatigant, mais pour le moment, ça suffit. » À Uzès, « on travaille quatorze heures par jour », regrette la patronne de la Nougatine. Mais il a fallu aller plus loin et ne plus alimenter les huit distributeurs de pain des communes alentour. « Ça fait moins de travail mais nous payons toujours la location des machines. Ce n’est pas gratuit », déplore-t-elle.
Ne pas répondre à certaines commandes, « baisser la production », c’est aussi le quotidien des Délices gascons. «Vous partez sur un prévisionnel fait avec beaucoup de soins mais vous ne pouvez pas le tenir faute de salariés », soupire M. Enescu. À Souillac, M. Amorison imagine diminuer les heures d’ouverture et de fermer à 15 heures au lieu de 19 heures, en été au moins : « Quitte à perdre des ventes, ça rendrait les choses plus supportables pour l’équipe. » Mais plusieurs envisagent même une situation radicale : vendre leur commerce. « Si on ne peut plus travailler des bons produits, on préfère carrément abandonner », tranche Mme Blampin. M. Enescu ne dit pas le contraire : « Si c’est récurrent, je vais céder l’affaire. À regret. »