Dur dur d'être artisane ou artisan à l’heure de la transformation numérique. Le commerce physique traditionnel reste en effet en grande partie exclu de la digitalisation de l’économie, du fait de nombreux freins. À commencer par le manque d’accès facile à la donnée.
En effet, la data est le carburant de cette économie qui grignote des parts de marché aux commerces de proximité. Or, du fait de la nature physique du commerce et du mode de vente en boulangerie-pâtisserie, il est bien difficile de récupérer ce précieux trésor ; constitué d’adresses e-mail, de numéros de téléphone, et du consentement à l’utilisation des données — dans le cadre de la RGPD*.
Pour cracker l'accès à l’acquisition de données dans les points de vente physiques, des initiatives visent à exploiter un jeu de récompenses, dans le but d’amorcer une relation gagnant-gagnant sur le terrain du digital.
« Nous sommes partis du principe qu’acquérir et valoriser des données clients revient au même que de créer une relation entre deux personnes, retrace Ludwig Jamet, le cofondateur de Hey Pongo, une start-up créée en 2019 avec la volonté de rendre accessible aux commerçants les techniques du marketing digital. Au départ, on ne connaît pas la personne, puis la relation se construit progressivement avec une meilleure vision de l’autre, et la confiance peut s’installer. Notre service fonctionne sur ce principe. La première chose qui est demandée au consommateur est son numéro de téléphone et on avance par étape jusqu’à obtenir une fiche client complète. »
Aujourd’hui, la start-up revendique 2 800 clients professionnels en France et à l’international, dont la plus grande partie travaillent dans le secteur de la restauration et de la boulangerie. La solution présente l’avantage de ne pas accroître la charge de travail des équipes de vente. L’acquisition des données se fait de façon séparée de la vente, via un terminal ou le flash d'un QR code. « On ne demande jamais de télécharger une application car c’est un frein beaucoup trop important », observe Ludwig Jamet.
Récompenser chaque action
Le fait de disposer d’une base de données client est ensuite le pilier de stratégies numériques de fidélisation que proposent de nombreux partenaires des artisans (entre autres, presque tous les fournisseurs de solutions d’encaissement déploient aujourd’hui ces types de solutions). Il s’agit, par exemple, de proposer à la personne de profiter d’une promotion, de recommander le point de vente sur les réseaux sociaux ou de déposer un avis. Toutes choses faites aujourd’hui de façon quasiment automatique et gratuite par les internautes au profit des géants du commerce en ligne sur Internet, et notamment des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).

Pour chaque action demandée réalisée, une récompense est promise et donnée à la personne, selon un scénario modulable. « Il s’agit de trouver le juste équilibre entre la promesse qui est faite au client et la friction, c’est-à-dire l’investissement personnel que la personne doit engager », explique Nicolas Samir, cofondateur de Hey Pongo dans le podcast La recette.club.
Reprendre le pouvoir
Les dispositifs proposés aux artisans en vue derécupérer les données client sont également une solution pour reprendre le pouvoir vis-à-vis des plateformes de vente en ligne.« Les systèmes de commandes, comme Deliveroo ou Uber, ne partagent pas la donnée avec les artisans, insiste Ludwig Jamet. Le monde du commerce physique se fait ainsi désintermédier, c’est-à-dire qu’il se voit confisquer le rôle d’intermédiaire avec les clients. C’est potentiellement dangereux — risqué et coûteux —, car le partage de la valeur n’est pas le même vu des commissions réclamées. »
Dans les zones très urbaines, certains clients ne se rendent d’ailleurs jamais en magasin. Conscientes de cela, les équipes de l’entreprise ont ainsi pu proposer de customiser les sacs de livraison à l'aide d'un QR code pour accéder à une roue de la fortune en ligne, en échange d’un numéro de téléphone, évidemment. Le dispositif — qui se présente aujourd’hui comme une solution globale de marketing à destination des commerçants —, propose également de capter les clients directement lorsqu’ils sont en ligne, « afin de couvrir cet angle mort ».
Transformer les données en chiffre d’affaires
L’artisanat semble avoir toute la légitimité requise pour construire une relation digitale, de par sa proximité géographique avec les clients, son rôle dans la vie des territoires ou des quartiers, et les valeurs qu’il véhicule. De par la proximité de la relation commerciale, les artisans peuvent d’ailleurs être beaucoup plus pertinents que les Gafam dans la proposition de valeurs autour de la communication digitale. Il s’agit, par exemple, d’améliorer l’expérience de son client, de lui faire profiter d’offres promotionnelles, de l'aider à réussir à des moments clés, comme Pâques, Halloween ou autres grands marronniers de l’année chez les boulangers-pâtissiers.

Chaque client peut recevoir des offres ou des messages de façon ciblée en fonction du profilage et de scénarios modulables à la carte. L’objectif de générer du chiffre d’affaires additionnel est atteignable de façon indirecte, en suscitant des actions valorisantes pour l’enseigne, comme celle de déposer une note positive sur Google.
Ludwig Jamet souligne également que « les commerçants peuvent s’appuyer sur leurs fichiers pour accompagner une actualité exceptionnelle, comme le lancement d’une nouvelle gamme de gâteaux, ou plus simplement pour dynamiser des moments plus creux. C’est très puissant car la commerçante ou le commerçant a l'opportunité decommuniquer de façon efficace à tout moment, sans avoir à attendre que la personne entre dans son magasin. Le potentiel est infini. À mon sens, on se trouve au tout début de l’histoire pour les boulangeries-pâtisseries ».
* Règlement général sur la protection des données.