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La fertilisation du blé aux stades avancés de son développement avec du lisier ou du digestat de méthaniseur apporte des unités d’azote à des moments où la plante est en mesure de les valoriser en protéines.
La fertilisation du blé aux stades avancés de son développement avec du lisier ou du digestat de méthaniseur apporte des unités d’azote à des moments où la plante est en mesure de les valoriser en protéines. © A. DUFUMIER

L’agriculture au défi de muscler le blé en protéines

Produire du blé avec moins d’engrais de synthèse dans un contexte de dérèglement climatique pose la question de la qualité boulangère des farines, avec le risque de perte de teneur en protéines.

Les orientations de la production française de blé permettront-elles de maintenir la qualité des farines ? La question mérite d’être posée, à plus d’un titre. D’une part, le dérèglement climatique promet une multiplication des “coups de chaud” au mois de juin. Ces derniers ont entre autres pour effet de pénaliser la bonne assimilation de l’azote, et donc la synthèse des protéines par la plante, au stade critique du remplissage des grains. Cela est d’autant plus vrai lorsque les sols sont secs, car la plante a alors difficilement accès à leurs réserves en azote.

La meunerie doit trouver d'autres critères que le taux de protéines pour juger de la qualité boulangère d'un blé. (© A. DUFUMIER)

D’autre part,l’usage intensif d’engrais azotés est remis en cause à différents niveaux, et notamment par la stratégie européenne Farm-to-Fork (de la ferme à la table en anglais) qui réclame une meilleure efficience des apports. Les pertes de l’azote appliqué aux champs représentent une contribution forte à l’effet de serre et à la dégradation de la qualité des eaux. En outre, les engrais azotés sont produits à partir de gaz d’origine fossile. Or, l’approvisionnement en gaz russe bon marché en France et en Europe acessé depuis le début de la guerre en Ukraine.

Par ailleurs, la hausse des cours des engrais pousse parfois les producteurs à en choisir de bon marché, comme l’urée dont l’assimilation par les plantes de blé est moins bonne du point de vue de la qualité des protéines. L’urée protégée avec des inhibiteurs d’uréase serait particulièrement préjudiciable car les enzymes adjointes sont de nature à pénaliser la production de protéines.

Nouvelle ombre au tableau, la stratégie nationale bas carbone vise à la neutralité carbone d’ici à 2050, et donc l’élimination de l’usage d’énergies fossiles. Une parade est en passe d’être déployée à grande échelle sur le terrain via l’utilisation d’hydrogène vert (issu des énergies renouvelables) pour la fabrication des engrais. Cependant, ces fertilisants sont jusqu’à six fois plus chers, et les grands projets de production d’hydrogène vert sont engagés aux États-Unis et en Arabie saoudite mais très peu en Europe.

L’agriculture biologique exposée par nature

Aux avant-postes de cette problématique de rationnement des engrais azotés, le label Agriculture Biologique (AB) doit faire face à la problématique de la qualité panifiable de ses blés depuis des années. En effet, le cahier des charges de l’AB proscrit les engrais de synthèse.

La filière trouve différentes solutions pour pallier ces difficultés. Les agriculteurs ont recours à des variétés naturellement plus riches en protéines. Ils introduisent le blé dans la rotation des cultures après celles qui enrichissent le sol en azote, telles que les légumineuses. Les apports de matière organique au sol, comme les fumiers ou les composts, contribuent également à l’alimentation en azote du sol.

L’application de bactéries dans les sols serait capable d’assurer jusqu’à 50 unités (kg/ha) d’azote, soit près du quart des besoins d’une culture de blé (pour un objectif de rendement de 7 tonnes à l’hectare). (© A. DUFUMIER)

Mais l’agriculture biologique peine malgré tout à répondre à tous les défis. En France, les rendements en bio sont plus de moitié moins élevés qu’en conventionnel, et le caractère panifiable des blés AB reste un défi. Le taux minimal de protéines pour que le blé bio soit panifiable est d’ailleurs abaissé à 10,5 % contre 11,5 % pour le blé conventionnel.

L’agriculture biologique progresse lentement car elle bénéficie d’une très faible part de la recherche et cela est d’autant plus vrai en recherche variétale. Pour s’en convaincre, il suffit de constater qu’il n’existe aucun programme financé de sélection de variété de blé certifiée 100 % bio en France. Il n’en demeure pour autant pas moins vrai que l’utilisation de techniques optimisées par les producteurs bio, comme l’usage d’engrais organiques et de légumineuses dans les rotations, est une piste prometteuse pour l’agriculture conventionnelle, dans sa transition pour concilier la qualité meunière et la baisse des apports d’azote de synthèse.

C’est d’ailleurs celle privilégiée par le cahier des charges de nombreuses filières de qualité en production conventionnelle (Haute Valeur Environnementale, blés Label Rouge, etc.). On peut également espérer que l’intérêt du secteur de l’agriculture conventionnelle pour une fertilisation azotée plus efficace amènera à assurer une demande suffisante afin que les semenciers soient incités à investir dans la recherche de variétés capables de mieux valoriser l’azote sous ses différentes formes, également adaptées aux conduites en AB.

Les biostimulants et la vie des sols

D’autres voies de nutrition azotée du blé sont également explorées. Il s’agit, par exemple, de la fixation libre de l’azote par des bactéries dites diazotrophes. L’application de ces bactéries dans les sols serait capable d’assurer jusqu’à 50 unités (kilos par hectare) d’azote, soit près du quart des besoins d’une culture de blé (pour un objectif de rendement de 7 tonnes à l’hectare). Mieux encore, ces bactéries sont capables de prendre le relais des apports minéraux entre deux apports. Ainsi, les plantes ont une nutrition plus régulière avec une meilleure synthèse de protéines.

L’utilisation de techniques optimisées par les producteurs bio comme l’usage d’engrais organiques et de légumineuses dans les rotations est une piste prometteuse pour l’agriculture conventionnelle. (© A. DUFUMIER)

Selon l’agronome Francis Bucaille, ces unités d’azote apportées par le vivant sont autrement plus avantageuses que les formes minérales. « Elles apportent aux plantes des “briques” de protéines toutes faites et rendent la synthèse des protéines par la plante plus qualitative et plus efficace. » De nombreux produits sont déjà commercialisés sur le marché (BlueN, Free N 100, Utrisha N, etc.). Cependant, leur coût est parfois jugé trop élevé. Un autre défi est celui de sécuriser le fonctionnement du produit en assurant la survie et le développement de ces bactéries. La prochaine génération de ces biostimulants intégrera certainement des principes d’encapsulation ou des prébiotiques accélérateurs de multiplication.

D’autres biostimulants agissent sur la dynamique de l’azote entre la matière organique des sols et la plante, avec des effets positifs possibles sur la qualité du blé. Le blé est capable de produire dans le sol des enzymes de dégradation des protéines du sol pour le compte de sa propre nutrition. D’après nos informations, Grands Moulins de Paris et la coopérative Vivescia travaillent activement sur le sujet avec des fournisseurs de biostimulants français. La coopérative Vivescia est d’ailleurs impliquée de longue date dans le dossier de la qualité des blés, elle a notamment participé activement au plan protéines végétales de la filière française, de 2016 à 2021.

Le cahier des charges de la filière Agriculture Biologique proscrit les engrais de synthèse. (© A. DUFUMIER)

Parler qualité plutôt que quantité

L’évaluation de la qualité panifiable du blé à partir du taux de protéines est une approximation critiquable. La qualité des protéines joue également un rôle prépondérant en matière de comportement en panification.

Par ailleurs, un biais existe du fait que les analyses mesurent le taux d’azote du blé, et non pas directement le taux de protéines. En conséquence, l’azote soluble du grain ou de petites molécules aminées peuvent être considérés comme des protéines sans en être. Les meuniers doivent d’ailleurs réaliser tout un travail parallèle (par exemple, l’édition chaque année du catalogue des variétés de blé préférées par la meunerie française) pour tenter de corriger ces biais. Trouver d’autres indicateurs de qualité meunière du blé applicables dès la production permettrait sans doute d’être plus pertinent tout au long de la chaîne. C’est une piste aussi en vue de rompre une partie de la mécanique de dépendance aux engrais minéraux pour la qualité du blé.

Il s’agit d’un travail au long cours, d’autant plus que la France exporte une grande partie de ses blés meuniers sur le marché mondial où c’est encore le taux de protéines qui sert de boussole à la normalisation des lots dans les contrats.

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