Avant même le début des Jeux olympiques, certains artisans — comme les restaurateurs — annonçaient des baisses de 30 % de leur chiffre d’affaires. En cause : la fermeture des terrasses par obligation préfectorale. Comme le déplore Frank Delvau, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie Paris Île-de-France dans Le Figaro, « On ne pensait pas avoir une telle baisse de fréquentation, en zone grise ça va jusqu’à - 80 % et les établissements dans les zones rouges sont également touchés. » Pour conseiller au mieux les professionnels privés de leur clientèle, nous avons interrogé Lionel Broillard, expert dans l’accompagnement des artisans boulangers chez Red Pepper Consulting.
La Toque magazine : Bon nombre de professionnels ont rencontré une baisse de fréquentation liée au périmètre de sécurité mis en place à Paris. Faut-il craindre pour sa trésorerie ?
Lionel Broillard : Il est trop tôt pour le dire. Effectivement, nous attendions bien plus de visiteurs étrangers avant le démarrage officiel des Jeux, mais les premiers matchs qui viennent d’avoir lieu [deux jours avant la cérémonie d’ouverture, NDLR] ont démontré que l’afflux de touristes était bel et bien là… Nous sommes dans une économie de consommation de dernière minute. N’oublions pas, non plus, que si les touristes ne sont pas venus plus tôt, c’est aussi parce que les hôtes d’appartements type Airbnbont anticipé des demandes fortes et ont voulu bien trop augmenter le prix de leurs logements. Il a plusieurs fois été cité des exemples de prix ayant été multipliés par dix… À vouloir miser sur la poule aux œufs d’or, ils ont tué une partie du business, et l’arrivée massive des touristes. Cela, il sera difficile de l’imputer au comité olympique. Il faut donc attendre la cérémonie pour prendre le pouls réel de l’affluence comme de l’organisation logistique et, de facto, du nombre de clients qui vont entrer dans nos points de vente.
LTM : Quels recours possibles pour les artisans en cas de blocage de la rue ou de fermeture de leur terrasse ?
LB : Malheureusement, s’agissant d’arrêtés préfectoraux particulièrement encadrés et dont la mise en application est sous haute surveillance, les recours sont inexistants. Il n’est pas envisageable de déplacer des éléments de sécurité, la responsabilité en cas de problème pèserait sinon lourdement sur l’établissement qui ne les auraient pas respectés.
LTM : Quelles sont les indemnités possibles, pour quels montants ?
LB : Cette question va sans doute encore cristalliser des rancœurs, ce dont nous n’avons pas besoin après les crises successives du covid, de l’énergie et de l’augmentation du prix des matières premières. Si des indemnités sont envisagées depuis l’annonce par Matignon de la création d’une commission d’évaluation, elles ne sont pas encore connues : ni leur niveau ni leurs modalités. Les entreprises devront, quoi qu’il en soit, attendre la fin des JO et passer devant cette commission… Elles peuvent s'attendre, à ce stade, à devoir justifier d’une perte dite significative de chiffre d’affaires par rapport à l’année dernière.
LTM : Qu’en sera-t-il pour les établissements n’ayant pas un an d’existence ?
LB : Rien ne nous épargne depuis des années. La fin du quoi qu’il en coûte, le niveau de dettes actuel de la France, laissent présager un saupoudrage qui ne remettra pas tout le monde à flot… Nos artisans boulangers savent relever leurs manches, ils l’ont démontré déjà bien trop souvent… mais les trésoreries en berne et l’érosion des marges subies depuis des mois vont forcément bousculer des business si rien n’est fait en urgence pour les établissements les plus fragiles.
LTM : Comment contrer ces aléas et continuer à générer du chiffre d’affaires ?
LB : Les communes impactées par les JO, et donc les points de vente présents dans ces dernières, peuvent obtenir des dérogations permettant aux collaborateurs de travailler au-delà des seuils légaux durant une période donnée. Il est donc important pour les établissements touchés par la mise en place de ces barrières faisant chuter leur chiffre d’affaires, de se rapprocher de leur préfecture et directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités pour voir s’il peut leur être autorisé de diminuer les horaires de leurs collaborateurs actuellement et ainsi éviter les chômages partiels anxiogènes, pour les augmenter à nouveau une fois les barrières retirées et ainsi profiter pleinement du flux des touristes qui resteront après. Car, en fonction des habitudes de consommation des différents pays, il n’est pas rare de dîner à 16 h 30 pour les uns ou à 22 heures pour les autres.
LTM : Il va donc falloir s’adapter…
LB : Effectivement. Les artisans vont devoir adapter leurs horaires d’ouverture à leurs cibles clients autour d’eux. S’ils ont autour d’eux une forte communauté asiatique, les viennoiseries à toute heure du jour et de la nuit seront les bienvenues. Si se trouve autour d’eux une forte communauté ibérique, des tapas servis jusque tard le soir seront aussi appréciés. À eux d’adapter les produits, les horaires, à cet environnement particulier même si c’est beaucoup plus simple à dire qu’à mettre en application…
LTM : Et la vente sur internet ou le marketing digital ?
LB : Ceux qui n’étaient pas prêts avant ne le seront pas maintenant, la création d’un site internet marchand est très longue. Rappelons-nous durant le covid, les artisans avaient testé la vente en ligne et ceux qui dépassaient les trente commandes par semaine étaient les mieux lotis… mais l’investissement, même partiellement pris en charge par l’État n’était pas à la hauteur. Je conseille de mettre à jour les pages des réseaux sociaux mais aussi, et surtout, les pages Google my business : cet encart qui apparaît sur Google quand on tape le nom de l’établissement. Mettez-y vos photos, utilisez des outils gratuits comme ChatGPT-4o pour traduire vos textes en anglais, aen llemand, en chinois et en espagnol, au moins… En magasin, équipez vos salariés d’outils de traduction via des smartphones. Vous pouvez ainsi capter des clients sans parler leur langue et augmenter drastiquement vos paniers moyens.
LTM : Certains espèrent aussi une reprise, notamment touristique, après les JO. Comment rebondir et bien préparer l’après Paris 2024 et la rentrée ?
LB : Selon une estimation du Centre de droit et d’économie du sport dévoilée en mai 2024, les revenus post-JO dureront jusqu’en 2034, au moins, et pourraient atteindre neuf milliards d’euros. C’est donc un travail à long terme qu’il va falloir effectuer. La flamme olympique devra être dans le cœur des points de vente le plus longtemps possible. Les produits signatures sur ce thème y auront toute leur place. On voit souvent chez l’artisan boulanger les habitudes ancestrales reprendre le dessus… Ceux placés près des zones recevant des épreuves vont bénéficier d’un effet sur la durée de la visite des lieux. Les gérants de boutiques concernés devraient, s’ils en ont le temps, acheter des maillots des équipes présentes dans leur ville pour les faire dédicacer, prendre des selfies, communiquer dessus dès maintenant… Et les garder pour les afficher. Pourquoi ne pas offrir des croissants aux staffs techniques afin de les faire venir dans leur magasin entre les épreuves et de surfer sur la vague ? Là encore, cela fera de bons souvenirs, à conserver précieusement. Autre solution : proposer des demi-journées d’atelier baguette française aux touristes, moyennant finance. Nos artisans savent trouver des idées particulièrement astucieuses… J’ai pleine confiance en leur capacité de rebond.