Travailler le levain, c’est comme dialoguer avec un compagnon instable, qui réagit différemment selon la saison, la température, l’hydratation et la qualité des matières premières. De cette variabilité naît aussi une multitude de possibilités à explorer. Le levain devient alors un outil de création à part entière, pour jouer subtilement ou franchement sur des paramètres sensoriels, comme la couleur de la croûte, les arômes, l’acidité, etc.
Dur ou liquide
Le travail sur levain pose rapidement la question de son taux d’hydratation ; sachant que, schématiquement, deux écoles coexistent en la matière : celle du levain dur (hydraté de 40 à 60 % d’eau environ) et celle du levain liquide (hydraté entre 80 et 120 %). La tendance du renouveau du travail sur levain est de privilégier le levain liquide, qui apporterait plus de douceur — notamment en termes d’acidité —, en favorisant la production d’acide lactique.
Le travail sur levain dur orienterait des fermentations plus acétiques. Il mérite cependant que l’on s’y intéresse car il produirait une complexité aromatique supérieure, pour des pains ayant aussi plus de mâche. Avec moins d’eau, le levain met plus de temps à atteindre sa pleine maturité, ce qui est intéressant si l’on souhaite freiner la fermentation face à des conditions chaudes, et vice versa.
À noter qu’un levain dur mérite d’être soigneusement réparti lors du frasage pour assurer sa présence homogène dans la pâte. Le levain est un mélange complexe de bactéries, de levures, de farine et d’eau qui forment un écosystème à part entière. Chaque souche représente une composition unique de micro-organismes ayant des propriétés différentes, notamment au niveau gustatif. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer l’odeur à juste maturité de deux souches différentes de levains rafraîchies à l’aide des mêmes farines. En tant qu’écosystèmes à part entière, les levains peuvent plus ou moins se ressembler ou se différencier selon les types d’espèces qui les peuplent, et leur âge.

Traverser l’espace et le temps
Certaines boulangeries ou écoles de formation communiquent sur l’ancienneté de leurs levains, qui parfois dépassent plusieurs siècles. L’idée de travailler avec des levains ayant traversé plusieurs générations est potentiellement très stimulante ; et ce, au-delà du fait que plus un levain est ancien, plus il est censé être robuste : il est entraîné et fortifié d’un point de vue génétique.
L’utilisation de levains peut aussi traverser les frontières. La ville de San Francisco, aux États-Unis, est associée à la production de pains au levain de grande qualité depuis des années, à tel point qu’elle a donné son nom à l’une des bactéries du levain (Lactobacillus sanfranciscensis). Toujours aux USA, le levain Oregon Trail 1847, vieux de 177 ans, a récemment fait le buzz sur les réseaux sociaux, suscitant une forte demande. Utiliser ce type de levains médiatisés est aussi une façon originale de composer avec les tendances de son temps et de montrer que l’on est capable de se réinventer.
Varier le taux
La mode en panification ces dernières années, va plutôt aux fermentations très longues avec de faibles ensemencements de levain. Les méthodes Respectus panis (marque déposée) ou Rémésy consistent ainsi en l’apport de quantités infinitésimales de levain, c’est-à-dire entre 0,1 % et 1 % du poids de farine. Les durées de pointage s’étalent alors de vingt-quatre à soixante-douze heures, à température ambiante. Il n’y a pas besoin de pétrissage.
Par cette méthode, on produit une longue autolyse, c’est-à-dire que les enzymes naturellement présentes dans la farine ont le temps de dégrader les amidons et les protéines avant l’intervention des bactéries et levures du levain. Cela donne des pains à la croûte très colorée (avec beaucoup de sucres réducteurs). À l’opposé, des méthodes à très fort ensemencement sont également pratiquées, avec incorporation de 40 à 100 % du poids de levain par rapport à celui de farine. L’avantage est alors d’apporter des arômes plus intenses de levain et d’accélérer la fermentation.
En vue d’étaler son travail de cuisson en pousse directe (sans blocage au froid avant cuisson), il est possible aussi de réaliser plusieurs pâtes avec des taux d’ensemencement différents.

Varier les rafraîchis
Le nombre de rafraîchis, leur espacement dans le temps, leurs températures et taux d’hydratation, sont autant de paramètres sur lesquels le boulanger a une influence et qui peuvent être structurants dans l’évolution de la fermentation et du produit fini. Il existe plusieurs écoles, avec chacune des diagrammes différents. Dans celle française du XVIIIe siècle, selon les recherches de Marc Dewalque, au bout du cinquième rafraîchis les levains étaient jugés trop doux par manque d’une acidité suffisante pour soutenir la fermentation. Il était nécessaire, dans ces cas, de rajouter une part de levain un peu plus vieux.
Parmi les paramètres influençant le résultat final, la température joue un rôle important. Des niveaux élevés, entre 25 et 35 °C, favoriseraient la fermentation lactique, tandis que des températures plus basses seraient propices l’activité acétique.
Sortir du fournil
Des idées émergent par l’association du levain à des éléments extérieurs au fournil. Dans les régions viticoles, des artisans font fermenter leurs levains dans des barriques pour apporter une complexité aromatique et microbiologique. Installé en Bourgogne, le boulanger dijonnais Louis Tortochot a ainsi fait plusieurs tests avec des vins de sa région (Chambolle-Musigny, Echezeaux grand cru et Vosne-Romanée) afin de « valoriser le terroir local et le travail des vignerons ». D’autres s’associent à des brasseries en vue de produire des bières à partir de ferments de levain, tandis que des recherches d’applications ont lieu en cosmétique ou en santé du microbiote.
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