L’univers de la boulangerie a beaucoup évolué ces dernières années. Dans un contexte mouvant, il est toujours difficile de prédire l’avenir, d’autant que l’épidémie a totalement rebattu les cartes. Les grandes tendances d’avant la crise entreront en confrontation avec le « monde d’après ». Certaines d’entre elles devraient en ressortir renforcées, tandis que d’autres devraient s’essouffler. Le travail et les déplacements quotidiens ont surtout été bouleversés, ce qui a fortement fait bouger les lignes de la consommation. Comment vont évoluer nos comportements et nos modes de vie après la crise ? Là est la grande question
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Les grosses boulangeries vont investir toutes les formes de restauration. © Gab
Au cœur de la vie sociale
« Ce qui est sûr, c’est qu’on a repris conscience que le pain est un bien essentiel et vital, et que la boulangerie artisanale reste chère aux yeux des Français, reconnaît Linda Woerner, responsable marketing de Bongard. Il paraît évident que nous sommes très attachés à la dimension culturelle, économique et sociale du savoir-faire artisanal et du commerce de proximité. La figure du boulanger qui fait vivre un quartier, un village, a été consolidée. En regardant vers l’avenir, il est probable que la proximité relationnelle avec les consommateurs se resserre. La technologie numérique viendra renforcer ces liens sociaux, plutôt que de les fragiliser. La production se rapprochera de la clientèle en jouant sur le design commercial ou les outils virtuels. Même avec ses partenaires, le boulanger privilégiera des relations sincères, engagées et fidèles avec les entreprises locales. L’espace de vente sera toujours plus un lieu de vie et même un “tiers-lieu” de travail, avec tous les services permettant de se poser seul ou à plusieurs, tout en restant connectés avec l’extérieur. » Bonne nouvelle, donc : la boulangerie demeurera toujours un point d’ancrage de la vie sociale, aussi bien en ville qu’à la campagne.
Pains et végétaux : un axe d’innovation prometteur. © Pexels/G.Pfeiffer
Monter en expertise
Sur le business model, la boulangerie de proximité, libre et indépendante, devrait être renforcée. Des spécialistes émergeront (artisans proposant des pains bio cuits au four à bois, de tradition française, des pains gourmands à la tranche, des pains paysans…), parallèlement à des profils très polyvalents. Les formats avec fournil central et 3 à 5 points de vente décentralisés se développeront en territoires ruraux, probablement sous la forme de franchises artisanales (plus faciles à gérer) ou via la multiplication de points de proximité (marchés, kiosques, distributeurs, casiers…). Les boulangeries de chaîne et de grande distribution vont continuer leur progression en investissant les centres-villes.
Le modèle de la boulangerie de proximité libre et indépendante devrait être renforcé.
« La concurrence risque d’être vive. Pour se démarquer, l’artisan devra monter en expertise sur le goût et la santé, confirme Stéphane Pucel, responsable marketing & communication de Lesaffre France. La connaissance technique va s’élargir aux ferments, aux blés, aux ingrédients healthy… La typicité, l’arôme, la texture et tous les aspects émotionnels seront mieux maîtrisés sur le plan technique et marketing. Cette montée en gamme sera portée par l’arrivée de nouveaux profils : des passionnés reconvertis à la boulangerie avec une personnalité plus affirmée (sur le goût, la santé, le design, l’écologie…) et une sensibilité business plus marquée. » Cette nouvelle génération Digital Native, plus agile, écolo et technophile, devrait faire advenir un nouveau modèle d’entreprise.
L’artisan est appelé à faire grandir son expertise sur les blés, les fermentations et les ingrédients santé. © A. TANDEAU
Des valeurs qui prennent de l’ampleur
Concernant l’offre, l’heure n’est plus du tout à la cuisine moléculaire et à la chimie alimentaire. Nos anciennes représentations futuristes ne nous font plus rêver. Agriculture biologique, circuits courts, vente directe, blés de pays, cuisson au bois, fabrication maison, savoir-faire artisanal… ces mots doux font davantage vibrer le consommateur contemporain. « Les diverses études menées au sein du groupe Lesaffre montrent clairement que la production alimentaire du futur sera toujours plus écologique et healthy, explique Stéphane Pucel. Cette tendance de société transparaît du champ à l’assiette, dans toutes les filières. En ce qui concerne la boulangerie, l’étude QualiQuanti 2021* indique que le pain perd toujours plus son statut nourricier pour être davantage vecteur de plaisir, de bien-être et de réconfort. Les attentes de découverte, de goût, de conservation, de santé, de fabrication maison sont très fortes. L’artisan devra y répondre tout en informant sa clientèle. La communication de réassurance, la transparence, la traçabilité, l’hygiène et la sécurité alimentaire seront dopées par les outils numériques. Les labels de qualité, les origines certifiées, les ingrédients naturels et locaux, le clean labelling, la RSE des fournisseurs… toutes ces valeurs prendront logiquement plus d’importance. » Le « monde d’après » est donc en marche, mais ne pourra advenir sans passer par la porte de la rentabilité économique.
Les circuits courts devraient s’étendre et se renforcer. © Gab
Web to Store
Dans cette logique, la boulangerie devrait rapidement pouvoir ouvrir son offre vers des produits cohérents avec son positionnement : box repas à emporter (emballages compostables), pains cuisinés/végétalisés (légumineuses, légumes, graines...), produits secs en vrac en libre-service (farines, légumes/fruits secs, super-baies…), casiers à ouverture par code (récupération de commandes click & collect), etc. La boulangerie-restaurant avec vente au comptoir (snacking, cafétérias) ou service à table (pizzerias, brasseries) est une réalité destinée à s’émanciper.
La boulangerie est légitime sur la vente alimentaire en vrac. © Pexels/P.Tankilevitch
De nombreuses boulangeries deviendront de véritables plaques tournantes de la vente en circuits courts, permettant aux producteurs locaux (œufs, lait, fromages, fruits, légumes, viandes…) de trouver un nouveau débouché. Le développement des casiers réfrigérés avec commande/achat à distance ou sur place (borne tactile) pourrait ainsi radicalement transformer la boulangerie 2.0. Dans cette stratégie « Web to Store », il est probable que la livraison à domicile en zones urbaines (via des coursiers comme Uber Eats ou Deliveroo) ou la vente externe (sur les marchés, dans les magasins coopératifs, les amap…) en zones rurales soient laissées à des « dark boulangeries », une autre organisation qui devrait progresser. Poussées par la vente à distance, les boulangeries et pâtisseries diététiques devraient aussi monter en puissance pour ne laisser personne au bord de la route. Et vous, quel est votre rêve ?
* « Les Français et le pain, cinq ans plus tard... », étude QualiQuanti pour la FEB, avril 2021.