L’entrée de ce labo-boutique transporte les visiteurs sur le continent sud-américain. Des feuilles de cacaoyer et cabosses colorées forment un décor exotique. Posés au sol, plusieurs gros sacs en toile de jute gonflés de fèves de cacao. Provenances : Venezuela, Mexique et Nicaragua. À Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence), Michaël Borelly et Florence Merlet ont ouvert en décembre 2020 leur pâtisserie-chocolaterie Le Dé Vert. Un jeu de mots sur « dévers », qui désigne en escalade une paroi en surplomb. Le couple a une passion commune pour la grimpe. Leur expérience, pour lui comme cuisinier globe-trotter et pour elle comme biologiste devenue pâtissière, les a mis sur la voie de la liberté. Ils ont choisi de travailler le produit brut, le cacao en bean to bar, terme anglais qui signifie en français « de la fève à la tablette ». Ce mouvement est né aux États-Unis il y a une vingtaine d’années. Il s’agit d’un travail artisanal minimaliste — du cacao et du sucre sourcés, zéro additif — qui se différencie de l’industrie du chocolat de couverture.
Le packaging minimaliste et artisanal, leur marque de fabrique. A.Valois
Éthique et entraide
Michaël et Florence se sont rapprochés de confrères plus expérimentés, comme Claire et Aurélien Ducloux. Ils ont créé à Marseille une chocolaterie artisanale, La Baleine à Cabosse, un espace fabrication, dégustation et atelier pédagogique. Depuis septembre dernier, Le Dé Vert fait partie de l’association française Bean to bar, présidée par Aurélien. Elle regroupe une quinzaine de chocolatiers en France. Ils ont exposé cette année à Paris, au Salon du chocolat.
Les chocolatiers effectuent un dernier tri avant la torréfaction. A.Valois
Ensemble, ils se serrent les coudes, se transmettent leurs petits secrets et s’approvisionnent en cacao bio par l’intermédiaire de sourceurs éthiques en qui ils ont confiance, comme Arthur et Yolimar, de l’association Franzuela. « Socialement, dans la filière du cacao, les conditions de vie et de travail sont déplorables, explique Florence. Nos contacts s’assurent que dans les coopératives avec lesquelles ils travaillent, il n’y ait ni esclavage ni travail des mineurs. Les petites plantations en agroforesterie ne produisent annuellement que 4 à 5 tonnes de fèves fermentées et séchées au soleil. »
Au Venezuela, les fèves de cacao sont sélectionnées par un couple de sourceurs franco-venezueliens. A.Valois
Rien à voir avec les immenses productions destinées aux couverturiers. Les sacs arrivent par la mer, transportés à bord d’une goélette Adventure, un voilier école qui croise l’Atlantique entre l’Amérique du Sud et l’Europe. Prudents, ils demandent un échantillon de 2 kg qu’ils testent avant de commander les sacs de 60 kg.
Le chocolatier prépare les fèves pour la torréfaction. A.Valois
Justement, ce sont des fèves du Venezuela que Michaël va torréfier. Il les étale sur des plaques métalliques et ôte celles qui ont des défauts. Puis, enfourne 20 minutes à 120 °C. Une très agréable odeur chaude et boisée emplit le laboratoire. Une fois refroidies, les fèves sont concassées, vannées (on sépare les grains battus de leurs impuretés) et broyées pour ne conserver que le grué de cacao. Il passe ensuite au conchage dans des machines qui mixent lentement pendant 2 à 7 jours, avec plus ou moins de sucre. « Nous goûtons régulièrement pour tester l’acidité et l’évolution des arômes, explique Michaël. À partir du deuxième jour, nous goûtons toutes les heures. » Le duo fabrique une cinquantaine de kilos de chocolat par semaine.
Tablette de 75 grammes. A.Valois
Très pures, les tablettes 75 %, 80 % et même 100 % sont toutes très différentes. Leur chocolat 100 % est fabriqué à partir de fèves du Nicaragua (Matagalpa) très douces. Les fèves du Mexique qu’ils utilisent ont des notes florales et celles du Venezuela (Ocumare) sont plutôt boisées. Le chocolat au lait est confectionné avec des fèves venezuéliennes hybrides Sur del Lago. Les chocolatiers incorporent aux tablettes 75 % des éclats d’amandes de Valensole (Provence), des noisettes du Piémont, des graines de sésame ou des dés de gingembre confit. Leurs bonbons sont des fruits ou des pralinés enrobés.
La gamme de chocolats noirs artisanaux aux éclats de noisette, d’amande et de sésame. A.Valois
Sur les terres du cacao
« Notre gamme est réduite, mais se renouvelle chaque année. Comme le vin, le chocolat varie selon l’état de la météo dans les zones de production, indique-t-il. La fermentation et le séchage ont aussi des conséquences sur notre travail au laboratoire. Nous avons le projet d’aller cette année en Amérique du Sud rencontrer les producteurs, à qui nous devons 50 % du goût de notre chocolat. Nous souhaitons échanger pour mieux nous comprendre. »
Les talents de pâtissière de Florence s’expriment dans des desserts sur commande uniquement (particuliers et restaurateurs). Elle propose notamment le gâteau Bean to bar pour retrouver le goût de la fève brute. Il s’agit d’une base de brownie au grué de cacao, montée d’une crème diplomate aux peaux de fèves infusées, un crémeux au chocolat noir et une ganache pour varier les textures. Les produits Le Dé Vert sont vendus au labo-boutique, sur des marchés artisanaux et bientôt sur Internet.
Repères
> Ouverture : décembre 2020
> Superficie du laboratoire-boutique : 60 m2
> Effectif : les 2 fondateurs et une apprentie
Le labo-boutique. A.Valois