La réponse de Me Verdier
L a concurrence générée par d'autres commerçants peut être redoutable, surtout lorsqu'un autre boulanger est installé à proximité, voire dans un même immeuble.
? Que vous doit votre bailleur ? Le bailleur doit vous assurer une jouissance paisible des locaux. Cependant, l'obligation de jouissance paisible ne veut pas dire qu'il est tenu de vous assurer une jouissance fructueuse quant aux résultats espérés. Le principe est le suivant : l'article 1719 du code civil ne garantit pas au preneur le bénéfice d'une exclusivité. S'agissant de la concurrence entre locataires du même immeuble, la jurisprudence considère que la concurrence est la règle et que nul ne peut a priori s'en plaindre (Cass, 3e Civ, 25 fév. 1975 ; Cass. 3e Civ, 4 déc. 1991). Il en va di fféremment si une clause d'exclusivité ou une clause de non-concurrence a été insérée dans votre bail. Si une clause de non concurrence est insérée dans votre bail, vous pouvez intenter une action en responsabilité contractuelle contre votre bailleur, et ainsi demander des dommages-intérêts. En effet, ce dernier n'avait pas le droit de louer des locaux à un commerçant exerçant une activité similaire à la vôtre sur la zone de non-concurrence prévue dans le contrat de bail. Si aucune clause d'exclusivité n'a été prévue dans le contrat de bail conclu, la responsabilité du bailleur ne peut donc pas être, a priori, engagée pour avoir loué des locaux à une société tierce concurrente.
Cependant, la jurisprudence tempère ce principe et dans certaines circonstances reconnaît que le bailleur est tenu par une obligation de non-concurrence implicite.
? Dans quels cas l'existence de circonstances particulières justifie une obligation implicite de non-concurrence ? La plupart des décisions qui retiennent le principe de la liberté de concurrence du bailleur indiquent cependant que tel ne serait pas le cas en présence de la mauvaise foi ou de l'intention de nuire du propriétaire ou en cas de « circonstances particulières ».
? Qu'est-ce qu'une circonstance particulière ? Dans un arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix-en- Provence, une obligation implicite de non-concurrence a été retenue à la charge d'un supermarché qui avait donné en sous-location à un poissonnier un local commercial situé sur le parking du magasin (Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 2e ch., 4 janv. 1996). Les circonstances particulières ont été retenues pour les raisons suivantes : ? Le bail délimitait très strictement les activités que pouvait exercer le preneur : en l'espèce, commerce de poissons-coquillages. ? En raison de l'attractivité commerciale supérieure du supermarché, le commerce de détail du preneur n'aurait pas pu survivre à la concurrence du supermarché. ? En outre, l'attitude antérieure du bailleur fut prise en compte : en l'espèce, le supermarché n'avait exercé aucune activité concurrente pendant neuf ans. La Cour de cassation a aussi considéré que caractérisait une circonstance exceptionnelle le versement par le preneur d'un pas-de-porte lorsqu'il a légitimement cru acheter une exclusivité pour l'exercice de son activité commerciale (Cass. 3e civ., 3 juill. 1970 : JCP G 1971, II, 16708).
La Cour d'appel de Paris a également admis la responsabilité du bailleur en considérant que même si les documents contractuels étaient clairs sur le principe de l'absence d'exclusivité, le bailleur s'était engagé à « s'efforcer d'assurer la complémentarité des activités ». Cet engagement mettait le bailleur dans l'obligation d'exécuter la convention de « bonne foi ». Il lui appartenait donc de ne pas abuser de sa situation de bailleur de l'ensemble immobilier. La Cour d'appel a aussi considéré que le bailleur ne pouvait imposer au preneur des sacrifices financiers disproportionnés et le contraindre à supporter une concurrence contraire à ses intérêts sans enfreindre l'obligation de loyauté. (Cour d'appel de Paris, 18 déc. 1991, D. 1992). Enfin, la Cour de cassation, dans un arrêt du 2 octobre 2013, a considéré qu'un bail commercial pouvait être annulé si le locataire avait conclu le bail dans la croyance erronée que celui-ci lui permettrait d'exercer son activité sans concurrence dans le centre commercial (Cass. 3e civ, 2 oct. 2013, n°12-13.302).
Le conseilSi aucune clause d'exclusivité n'est prévue dans votre contrat de bail, le principe est que votre bailleur est en droit de louer ses locaux à proximité de votre commerce à un concurrent. Cependant, à titre exceptionnel, il y a des circonstances dans lesquelles le bailleur sera tout de même tenu à une obligation de non-concurrence. Dans ce cas-là, rapprochez-vous de votre avocat, qui pourra rechercher précisément si votre bail permet de considérer qu'il y a obligation implicite de non-concurrence à la charge du bailleur.