Et si le thé supplantait le vin sur la table des Français ? Florian Aumaire n’en serait pas choqué. Celui qui vend 150 références de thés en vrac dans sa boutique lyonnaise Les thés sur Terre est aussi « sommelier en thé ». Maître dans l’art d’accorder ce breuvage à des aliments, il organise le vendredi soir des ateliers pour une clientèle curieuse et gourmande. Fin novembre, l’atelier “Accords thés et éclairs”, autour des créations sucrées et salées de partenaires pâtissiers, affiche complet. Les thématiques suivantes vont du classique “thés et chocolats” aux plus décoiffants “thés et charcuteries” ou “thés et fromages”. Florian sait où il met les pieds. En 2018, il avait remporté aux Tea Master Cup (seule compétition internationale dédiée au thé) le titre de champion de France en accords thés et mets, puis une troisième place au niveau mondial. Cela avait conforté son choix de monter sa propre affaire, après huit ans passés au Palais des thés et six au Parti du thé. Depuis l’automne 2020, lui et sa compagne Sophie Rodrigues accueillent particuliers et professionnels dans leur boutique du centre-ville de Lyon. Une ville où « les rapports avec les professionnels de la gastronomie sont plus simples qu’à Paris », et où « un MOF me consacre une après-midi entière ». Il faut bien cela pour parler du thé, que Florian considère comme « un produit gastronomique à part entière ». Il ose une comparaison : « Les Français avec le thé sont le miroir des Chinois avec le vin. Ils aiment ce produit mais ne le connaissent pas, et en boivent rarement du bon ! »

Des milliers de cultivars
Qui sait qu’il existe dans le monde des milliers de cultivars descendant de Camellia sinensis (nom botanique du théier) ? Et que le goût et les propriétés du breuvage dépendent non seulement de la variété du théier, mais aussi de son terroir, du climat du lieu où il a poussé, de la partie récoltée (feuilles ou bourgeons), de la saison de récolte, du travail des feuilles qui libèrent plus ou moins de tanins, etc. « Il existe six couleurs, résume Florian. Le thé blanc est une infusion : les feuilles sont séchées sans manipulation. Pour le thé vert, les feuilles sont roulées, coupées, mais elles sont immédiatement soumises à une chaleur sèche (en Chine) ou humide (au Japon) qui bloque l’enzyme responsable de l’oxydation. À l’inverse, le thé noir est totalement oxydé. Entre les deux, le thé oolong ou bleu-vert est semi-oxydé : l’enzyme est bloquée plus ou moins tard. Il existe aussi un thé blanc fermenté, de couleur jaune, et un thé noir fermenté. » C’est pour ce dernier type que le parallèle avec le vin est le plus parlant : « Les thés fermentés du Yunnan, issus de théiers sauvages parfois multi-centenaires, se bonifient en vieillissant. Cela en fait des produits très spéculatifs, valant des centaines d’euros ! »

Il y a de quoi se perdre dans la centaine de références de thés nature de la boutique, que Florian et Sophie sélectionnent directement à la source. Les versions parfumées – uniquement à l'aide d'arômes naturels ou d'essences – ne composent que 30 % de son offre, à l’inverse de la plupart des magasins de thés. Parce que « le thé nature demande plus de pédagogie », il ouvre les boîtes et fait sentir à ses clients les feuilles ou les bourgeons, expliquant pourquoi tel thé vert de Chine exprime des notes torréfiées et tel autre, originaire du Japon, se distingue par son caractère iodé.
Tout est vendu en vrac. « Les manipulations d’ensachage conduisent à casser et à aérer les feuilles, ce qui fait perdre du goût », explique Florian, qui avoue aussi être gêné par l’impact environnemental du thé ensaché. Les prix vont de moins de 10 € les 100g à plus de 60 €. « Comme pour le vin, ce qui est rare est cher… »

Une huile au thé, des éclairs au matcha
Sa porte est régulièrement poussée par de nouveaux clients qui, ayant goûté l’une de ses références dans un coffee-shop du quartier, viennent s’approvisionner à la source. Le bouche-à-oreille lui amène aussi de plus en plus de professionnels, qui composent leur carte de boissons chaudes ou cherchent un ingrédient original. « Un pâtissier a créé des macarons au thé vert rose-litchi, d’autres ont fait des éclairs au thé matcha ainsi qu’au chaï, et un chef travaille sur une huile au thé », illustre Florian.
Au passage, il souligne que le matcha signifie juste “thé moulu” en japonais. « Or, la plupart des “thés matcha” vendus en France sont de simples thés verts en poudre, très loin du traditionnel matcha du Japon issu d’un mode de culture et de maturation particulier ! »
Bien que les vertus “santé” du thé remplissent les pages des magazines, Florian refuse de communiquer sur cet axe. « Je lis les études mais je ne suis pas herboriste, donc je parle seulement du goût », balaie-t-il. Il a déjà beaucoup à dire.
Bien servir le thé
« Attention à ne pas brûler les feuilles de thé avec une eau à plus de 85 °C », prévient Florian, qui conseille de viser « 60 à 75 °C pour un thé vert, 70 °C pour un thé blanc et 80 °C pour un thé noir ». L’eau bouillante est de toute façon déconseillée car l’oxygène qui s’échappe lors de l’ébullition nuit à la diffusion des saveurs. Le thé vert sera infusé seulement 2-3 minutes, les thés noirs et blancs, 4 minutes. Autre conseil : préférer les théières et les tasses en porcelaine ou en verre, et éviter absolument la fonte et les métaux – « sauf, à la rigueur, l’inox ». Enfin, mieux vaut préparer de petites quantités, quitte à réinfuser plusieurs fois les mêmes feuilles : « Le goût sera plus intense et meilleur ! »

Repères
Ouverture en 2020
Produits : 150 références de thés en vrac dont 70 % de thés nature
Horaires : Accueil du mardi au samedi de 10 h à 19 h
Ateliers de dégustation le vendredi soir, de 35 à 45 € selon la thématique (découverte de grands crus, accords thés et mets, modes de préparation du thé, etc.)
