En 1994, à l’âge de deux ans, Yazid Ichemrahen est placé en famille d’accueil pour cause de mère défaillante. Vingt ans plus tard, il décroche le titre de champion du monde des desserts glacés, point de départ d’une aventure entrepreneuriale entre ombre et lumière, succès et échecs. À l’image de son parcours hors norme, qui a fait l’objet en 2023 d’un livre* et d’un film, “À la belle étoile”, de Sébastien Tulard, à l’affiche depuis le 22 février.
La Toque Magazine : Que représente la pâtisserie pour vous ?
Yazid Ichemrahen : Je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui sans elle. La pâtisserie m’a un peu sauvé la vie. Pour moi, faire des desserts a d’abord été un moyen de transmettre des émotions aux autres, puis d’obtenir leur reconnaissance. Cela m’a donné un but à l’adolescence, quand j’étais en foyer. Je collectionnais les posters de chefs célèbres. Je rêvais de gagner un concours, comme eux.
LTM : Quels souvenirs gardez-vous de votre apprentissage ?
Y. I. : Entre Épernay [Marne, NDLR], Troyes [Pas-de-Calais, NDLR], Paris et Monaco, j’ai eu de nombreux maîtres d’apprentissage et chefs, durs mais justes. Ils m’ont inculqué des valeurs de rigueur, de rigidité aussi, que j’ai à mon tour mises en œuvre quand je suis devenu chef ; jusqu’à ce que je me rende compte que ce type de management n’est plus d’actualité. Les équipes attendent aujourd’hui de la bienveillance pour grandir et évoluer. Sans elles, un chef ne va pas très loin. D’où l’importance de faire preuve d’exemplarité.
« Prendre des claques fait partie de l’entrepreneuriat »
LTM : Votre titre de champion du monde vous a-t-il ouvert des portes ?
Y. I. :J’ai travaillé très dur pour y arriver. Mais le plus difficile est venu ensuite. Décrocher un titre est une chose, le transformer en est une autre. Je ne faisais pas partie du sérail et je m’exprimais mal. J’ai pris des cours de français, d’anglais, de rédaction, d’éloquence, pour être crédible et convaincant.
LTM : Quels conseils donneriez-vous pour entreprendre ?
Y. I. : Prendre son temps, contrairement à moi. J’ai voulu aller trop vite, avec de lourds investissements en fonds propres. Cette erreur m’a valu de sombrer avec le covid. Mais prendre des claques fait partie de l’entrepreneuriat. Cela permet d’avancer et de gagner en humilité. Après la crise sanitaire, j’ai pu me remettre à flot et relancer mon groupe YI grâce à mes missions de conseil.
LTM : À quoi ressemble votre quotidien ?
Y. I. : Pour créer, j’ai besoin d’un équilibre. Chaque mois, je m’enferme cinq jours dans un labo ; le reste du temps, je suis soit en mission de conseil à l’étranger, soit à Paris pour travailler sur mes projets et mes collaborations. Le sport fait aussi partie de ma routine professionnelle.
LTM : Quelle est votre madeleine de Proust ?
Y. I. : Les desserts populaires, pas chers et qui plaisent au plus grand nombre, comme les éclairs de supermarché et les gâteaux au yaourt de ma famille d’accueil. C’est le goût de mon enfance, ainsi que de 90 % de la population, qui n’a pas les moyens de fréquenter des palaces. Aujourd’hui, même si je travaille des produits exceptionnels pour des marques de luxe, je tiens à proposer aussi dans les boutiques YTime [au nombre de sept dans le monde, NDLR] des gâteaux accessibles, fabriqués à partir de matières premières simples mais de qualité, comme des cookies, des cakes ou des brownies pur beurre. Et, dans tous mes points de vente, il y a de la restauration, car cela reste un poste de rentabilité.
LTM : Quelle est votre création signature ?
Y. I. : Avec la sortie du film, on me demande beaucoup ma forêt-noire revisitée façon pomme d’amour, un dessert créé avec le Meilleur ouvrier de France Angelo Musa, l’un de mes mentors dans le métier.
* Ichemrahen Y. Créer pour survivre, vivre pour ne pas sombrer. Éditions Hors collection; 2023.