Si l’expression wabi-sabi ne vous évoque rien, c’est normal. Poussez la porte du 25 rue du Taur, dans le centre historique de Toulouse : Jérémy et Vincent Muller vous expliqueront tout. Jérémy, c’est le chef cuisinier, Vincent, l’artisan pâtissier. Ensemble, les deux frères ont fondé Gyou au printemps 2021. Une échoppe à mi-chemin entre le coffee shop et le kitchen lab, pâtisserie-coffee shop-sandwicherie empreinte de cette philosophie du wabi-sabi.
Le concept vient tout droit du Japon, qui fut pour Jérémy un voyage marquant. « Le wabi exprime ce que l’on ressent en regardant de belles choses, le sabi traduit le passage du temps, explique-t-il. Le wabi-sabi prône la modestie et la contemplation devant l’impermanence des choses. » En cuisine, cela donne une « restauration rapide de qualité, régulièrement renouvelée, pour bien manger sans se ruiner », résume-t-il.
« Le wabi-sabi prône la modestie et la contemplation devant l’impermanence des choses »
Dans le labo totalement ouvert à la vue des clients, tout est fait maison de A à Z : y compris le pain des sandwiches, les sauces, et trois boissons. Aussi exigeants sur le goût que sur la qualité nutritionnelle, les deux frères ne refusent pas les concernant l’adjectif “militant”. Leur mission : « Faire retrouver aux clients le goût des aliments. » Leur arme : une gamme de salades, sandwichs, soupes et pâtisseries, courte et maîtrisée, à base d’ingrédients frais et bruts soigneusement sélectionnés, aux saveurs d’ici et d’ailleurs.
Australie, Afrique de l’Ouest, Irlande, Japon...
C’est, comme souvent, dans l’enfance que plongent les racines de leur vocation. De leurs parents Franco-Libanais commerçants à Toulouse, ils ont appris « le contact avec les gens », ainsi que le goût des bonnes choses. « Nous avons baigné dans la culture de la bonne cuisine faite maison et cela nous tient à cœur de la partager », reprend Vincent. Les autres influences de leur cuisine proviennent des voyages, qu’ils ont enchaînés (séparément) pendant plusieurs années, sur les cinq continents. « Pour travailler, pas en vacances », précise Jérémy, qui a été cuisinier, manager d’équipe et formateur en Australie, en Afrique de l’Ouest, en Irlande, au Japon, en Corée du Sud, en Indonésie… Son frère a surtout travaillé en Irlande, dans une pâtisserie italienne, avec des collègues Moldaves et Chinois. Tous deux en sont revenus enrichis sur les plans humain et relationnel, avec des recettes dans les bagages — à commencer par celle du pain de mie japonais et de la focaccia, qui servent de base aux “sandos” de Gyou.
« En Irlande j’ai découvert la pâtisserie italienne : elle ressemble un peu à la nôtre, mais la France reste le pays de référence », affirme Vincent, qui a acquis une grande partie de son savoir-faire comme pâtissier pour la maison Beauhaire (Meilleur ouvrier de France boulangerie, trois boutiques à Toulouse et alentours). La gastronomie italienne lui a toutefois inspiré un gâteau de voyage à la ricotta (le “p’tit gyou”), tandis que son éclair au café et sésame noir revendique des influences plus exotiques.
Fruits et herbes remplacent le sucre
Toutes les recettes ont des quantités de sucre réduites — de l’ordre de 20 % par rapport à une pâtisserie classique, et jusqu’à 30 % pour la tartelette aux trois citrons (jaune, vert et combava). « Le sucre, qui sert parfois à cacher la médiocrité des produits, devient un fléau pour la santé publique, regrette le pâtissier, qui souhaite apprendre aux gens à manger du sucré différemment. » Son frère abonde : « Nos voyages nous ont fait découvrir, entre autres, des associations de fruits et d’herbes qui permettent de se passer de sucre : la pomme et la verveine, par exemple. »
Beaucoup d’habitués
La cuisine et la pâtisserie inspirées des deux frères, cachées dans une boutique à l’abord modeste, ont trouvé leur public en un an et demi. Ceux qui poussent la porte sont souvent appelés par leur nom ou par leur prénom. « Autour de quatre-vingt-dix pour cent de nos clients sont des habitués, évalue Jérémy. Il faut être curieux pour pousser la porte, mais après avoir goûté, beaucoup de gens reviennent et le bouche à oreille fonctionne très bien. » Le duo propose aussi des prestations sur-mesure pour des évènements.
Avec leurs deux apprentis, Vincent et Jérémy prennent garde à ne pas reproduire ce qu’eux-mêmes ont vécu. À quinze ans, un stage dans un restaurant doté de trois macarons Michelin dégoûte Jérémy de la cuisine : il bifurque vers l’hôtellerie. Il lui faudra dix ans et une rencontre au bout du monde pour reprendre confiance et retourner derrière les fourneaux. Pas question de briser de la même manière la vocation naissante de leurs apprentis : « Nous voulons leur montrer qu’on peut faire de la haute qualité en travaillant dans une bonne ambiance. »