Le matin dès 7 heures, des connaisseurs font le détour jusqu’à Chabrillan, dans la Drôme. Les croissants, pains au chocolat, cravates (torsades à la crème) et brioches roulées au praliné ou au chocolat sont excellents chez Bonnet M, le café aussi, et l’ambiance est joyeuse. Des voisins viennent à pied chercher leurs pains qui sortent du four de la boulangerie. Une enfant, les cheveux encore ébouriffés par son oreiller, apporte un sac en tissu dans lequel la vendeuse Stéphanie glisse deux baguettes tradition.

Pour Éloïse Boso, 20 ans, il va bientôt être l’heure de quitter le fournil afin de livrer son patron, le chef étoilé Sébastien Bonnet. Ce matin, elle a précuit pour lui une quarantaine de pains serviettes — qui repasseront au four avant le service des deux restaurants du chef, situés à Grâne, à 3 km —, et trois pains de 750 g à servir coupés en tranches épaisses.


La boulangère fabrique toute seule dans ce commerce de village : « Ce métier me plaît d’autant plus qu’ici je suis autonome : je peux organiser mon rythme, mes repos et mon temps libre, explique-t-elle. Le travail de nuit ne me dérange pas, bien au contraire. J’aime me lever le matin avec un but précis. » Les week-ends sont denses, cette bosseuse est au fournil de 2 heures à 10 heures du matin. Bonnet M vend jusqu’à midi, du jeudi au dimanche.
Avec un pétrin de 18 kg et des chambres pour contrôler la pousse, l’artisane travaille chaque semaine 75 kg de farine en baguettes et pains tradition, 50 kg de farines différentes pour la gamme d’une dizaine de pains spéciaux, et 25 kg pour les viennoiseries au beurre Elle & Vire. Les farines viennent de la minoterie du Trièves (Isère) et du Moulin Marion (Ain). La jeune femme utilise essentiellement une levure et, depuis peu, un levain liquide « qui apporte du moelleux et de la couleur. Le chef a insisté pour que je travaille au levain ».

Éloïse a déjà une belle assurance, particulièrement manuelle. Elle n’a pourtant que 18 mois d’expérience en boulangerie, avec un CAP obtenu en juin 2022.
Cette maturité singulière lui vient d’un parcours précoce et professionnalisant, pas dans les métiers de bouche mais dans le monde équestre. À 13 ans, elle quitte la Drôme pour entrer en internat dans une école de courses hippiques des Bouches-du-Rhône. La cavalière valide un bac pro Contrôle et gestion d’une entreprise hippique, mais les stages et l’alternance la dégoûtent finalement du métier.
Changement de voie. Pour sa formation au CAP boulanger, prise en charge par Pôle emploi, elle se tourne vers l’école L’Aura à Chabeuil (lire en pages précédentes), dans la Drôme. Deux boulangeries artisanales la prennent en stage : Addiction à Bourg-lès-Valence et l’atelier Papilles à Aouste-sur-Sye. C’est finalement avec Sébastien Bonnet qu’elle signe un contrat en septembre dernier.

Pour ses tables de Grâne (le restaurant gastronomique Le Kléber et le bistrot l’Encas), ce chef — 1 étoile depuis onze ans — a longtemps passé commande à Xavier Honorin, Meilleur ouvrier de France installé à Portes-lès-Valence. Jusqu’à ce que, en 2019, la boulangerie de Chabrillan soit mise en vente.
« J’ai grandi et je vis à côté, à La Roche-sur-Grane. J’ai toujours connu cette boulangerie et l’artisan qui faisait ses tournées de pain en camion », raconte-t-il. Sébastien Bonnet est petits-fils d’agriculteurs et de restaurateurs de la Drôme. Il porte en lui cet art de transmettre, de la terre à l’assiette.
D’abord associé à un boulanger, il se retrouve finalement seul aux commandes de Bonnet M en mars 2020, quand le premier confinement débute : « Nos restaurants étaient obligés de fermer. J’ai commencé à cuisiner des plats pour les habitants de Chabrillan et alentours. Nous en avons profité pour construire un four à pizza devant le fournil, qui tourne toujours les mois d’été. »
Des équipes féminines
L’enfant du pays se nourrit de cette proximité villageoise qu’il affectionne. Avant que la brigade ne s’active en cuisine, il monte volontiers à sa boulangerie taquiner son équipe, saluer les clients ou leur faire des petits cadeaux. Il sait l’importance d’apporter du plaisir aux gens avec de bons produits.
Sébastien Bonnet fait confiance et évoluer ses salariées, en majorité féminines. Il avait ainsi recruté Gwendoline, formée en cuisine et en pâtisserie. Au Kléber, elle s’occupait des desserts à l’assiette, puis a eu envie de fabriquer du pain. Cette autodidacte passionnée a donc pris le poste de boulangère, et a formé son amie néo-zélandaise Shanna. L’enthousiasmant duo de boulangères a beaucoup plu au jury et aux spectateurs de La Meilleure Boulangerie de France. Quand elles ont quitté Chabrillan, Éloïse a pris leur suite, aussi déterminée et douée qu’elles.
