« Ça, c'est ma richesse. Je n'ai pas besoin de Mercedes ! », s'exclame Christophe Bidart. « Ça », c'est un champ, où, il y a quelques années, il a fait semer 42 espèces de blés de population. « Il y a des barbus, des non barbus, ils sont tous de taille différente... », énumère le boulanger d'Hasparren. A la tête de deux boulangeries et un magasin, il poursuit sa « quête » : réintroduire les blés anciens dans ce Pays-Basque où « toute la connaissance s'était perdue ». Aujourd'hui, après des années de travail, il fait pousser environ 12 hectares de blés bios chez des paysans partenaires et produit « 8 tonnes de farine environ », soit 10 à 20% de ses besoins.
Tout commence en 2012, lorsque M.Bidart va se former chez des paysans boulangers partout en France. « Je voulais faire comme mon grand-père, qui faisait pousser son blé chez des paysans, qui le transformait en farine et était boulanger », témoigne M.Bidart. Le Civam bio et la chambre d'agriculture se joignent au projet. Une banque de semences au Pays-Basque espagnol et celle de l'Inrae de Clermont-Ferrand aident à avoir les premières bases. Ces grains sont sélectionnés et multipliés au lycée d'Hasparren et chez un agriculteur partenaire, Jean-Michel Etchegaray, à Beguios. Ce-dernier se souvient : « C'était des tout petits lots de variétés pures, qui tenaient dans le creux d'une main. L'idée était de voir quelles variétés s'adaptaient le mieux. » Rouge d'Ecosse, Saint-Priest, Rouge d'Angleterre, Grand roux basque et tant d'autres : de nombreuses variétés sont testées. Christophe Bidart souligne : « Ce sont des céréales que l'on a acclimatées au bout de 7 à 8 ans ». Tout en cherchant des « blés qui font suffisamment de grains, ne montent pas trop, ont un indice glycémique faible... »
Des rendements très faibles
Alors, cette acclimatation ne fut pas – n'est pas – de tout repos. « Le Pays-Basque, ce ne sont pas vraiment des terres à céréales », indique M.Bidart. « On est souvent sur des pailles très hautes, qui sont sensibles à la verse, ajoute M.Etchegaray. Donc ce sont des blés qui ont des rendements très faibles. » D'où la nécessité de les transformer pour être un minimum rentable. M.Bidart a d'ailleurs investi dans deux moulins, des trieurs, une brosse à grain et une chambre froide. « Il y a plein de choses qu'on ne savait plus faire dans le coin, assure le boulanger. Rien n'est simple : le triage, le nettoyage, le brossage et à la fin le stockage... » Et vient, bien sûr, le souci de la panification, « bien plus difficile avec ces blés ». Mais les pains sont appréciés par les clients : « Ils goûtent, ils aiment... mais ils reviennent à la baguette le lendemain », sourit M.Bidart.
« Ça prendra du temps »
Bref, selon lui, « il faut réhabituer le paysan -bien le payer, l'embarquer dans le projet -, réhabituer le boulanger et réhabituer les clients. Tout ça prendra au moins 30 ans. » Mais, petit à petit, le blé fait son nid en Pays-Basque. Christophe Bidart liste : « Chaque année environ, j'ai un paysan de plus qui propose de semer un hectare. Côté boulanger, je n'ai pas de difficulté à trouver des apprentis, parce qu'ils sont friands de ce genre de projets. Et j'espère habituer les enfants en leur proposant ce pain dans les cantines. » Dès cette rentrée de septembre, ce pain 100% basque sera d'ailleurs distribué aux enfants de Tarnos, deux fois par mois.
Autant de signes qui encouragent le boulanger : « Je sais que ça prendra du temps. Mais je le fais pour la Terre laissée à nos enfants. » Car, économiquement, cyniquement, « avec tous les investissements financiers et le temps que j'y passe, ça ne vaudrait pas le coup. Je le fais pour mon pays, qui est si beau... »