Sise dans la (commerçante) rue Daguerre (Paris, 14e), Juni se positionne entre la boulangerie et la cantine aux saveurs d’ailleurs. D’où, accolée à son nom, l’appellation Armenian Bakery, choisie avec soin par son fondateur, Gregory Guerguerian. « Je voulais un lieu qui s’intègre dans le quotidien des gens », justifie cet ingénieur de formation, au parcours aussi atypique que sa cuisine.

En 2011, il embarque femme et enfants en Indonésie pour cocréer une enseigne de boulangerie française, Monsieur Spoon. En 2019, juste avant le covid, il revend l’affaire. « J’avais commencé à voyager en Arménie depuis quelques années. J’avais envie de renouer avec mes racines familiales et de développer un projet dans le Haut-Karabakh, région dont je suis tombé amoureux. » Il ouvre bientôt un coffee shop avec boissons et pâtisseries dans la capitale, Stepanakert. En 2020, la guerre avec l’Azerbaïdjan, suivie d’affrontements et de tensions (toujours d’actualité), met un terme brutal à l’aventure.
À contrecœur, Gregory Guerguerian est contraint de rentrer à Paris. « J’avais besoin de rebondir tout en continuant à partager l’histoire et la culture de ce territoire et de son peuple. » La cuisine va lui servir d’exutoire. « La tradition culinaire arménienne est au carrefour de plusieurs influences : turques, orientales, libanaises », rappelle le Franco-Arménien aux origines cosmopolites.

Et d’expliquer : « Le lavash est le pain plat arménien, à base de farine, sel et eau. La pâte est étalée finement, puis cuite contre la paroi du four traditionnel, le tonir. Inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco, sa préparation requiert un tour de main spécifique. »
Lahmajun, la pizza arménienne
À Paris, Gregory Guerguerian ajoute un ferment dans la pâte et la laisse fermenter douze heures minimum avant de l’étaler à la main et de la cuire sur la sole d’un four à pizza trônant au centre de sa boutique. Résultat : « Un pain plat moelleux à l’intérieur et croustillant à l’extérieur » ; avec, en prime, le spectacle de la préparation à la cuisson pour le client.

Deux options possibles : le pain est cuit nature pour servir ensuite de base de sandwichs, ou garni avant cuisson telle une pizza, baptisée lahmajun en Arménie. Best-seller du lieu, ce produit lui a donné son nom (voir photo ci-contre). « C’est un snack dont la naissance remonte à deux mille ans avant Jésus-Christ », relève le cuisinier, qui le décline en quatre garnitures : viande (bœuf et agneau hachés avec une marinade maison), légumes marinés, zaatar (mélange d’épices levantin) et trois fromages.
Le Juni peut être servi en rolls (8,50 €) ou à l’assiette (12,50 €), avec deux entrées (houmous, labneh, moutabal à l’aubergine, muhammara aux poivrons et aux noix) et deux salades (carottes, tomates ou taboulé aux herbes) au choix. Disponibles à l’unité à la carte, ces accompagnements sont aussi utilisés comme garniture pour les sandwichs à base de pain nature, relevés de pickles, herbes fraîches, et sauce maison parmi trois propositions : crème à l’ail, yaourt au piment et taratour, à base de tahini libanais (crème de sésame) et de citron.

Le tout est frais et généreux, très bien relevé et assaisonné, avec des saveurs qui font voyager les habitants du quartier comme les touristes de passage, et jusqu’à la diaspora arménienne installée en France, qui retrouve chez Juni le goût des repas de famille. Ses stars internationales, comme Charles Aznavour, la chanteuse Cher, le tennisman Andre Agassi ou encore le réalisateur Atom Egoyan, s’affichent en noir et blanc sur un pan de mur : une manière de rappeler avec subtilité l’identité du lieu.
Pas question d’ailleurs pour Grégory Guerguerian de jouer la carte du folklore dans ses aménagements. Il a préféré miser sur la modernité de couleurs claires, d’un mobilier épuré et d’un comptoir central arrondi inspiré des teppanyakis japonais. « Je voulais un lieu ouvert et convivial, organisé autour du four, un élément fédérateur », confie le chef.

Baklava sur pâte sablée
Au-delà de sa courte gamme salée, préparée minute et servie en continu de 12 heures à 22 heures, Gregory Guerguerian revisite également quelques spécialités boulangères arméniennes, dont son gata signature (lire encadré). Le Tcheurek, la fameuse brioche tressée de Pâques, se décline en version salée au zaatar. Empruntée à une amie pâtissière arménienne, sa recette de baklava aux noix et au miel est préparée sur une base de pâte sablée (et non filo), pour un dessert ultra-gourmand.

Les boissons sont au diapason, avec du jus d’hibiscus, une infusion au thym, un ayran à base de yaourt fermenté et une limonade maison, auxquels s’ajoutent une bière arménienne, quelques sodas, et des carafes d’eau à disposition pour la dégustation sur place : une attention appréciable, qui témoigne des valeurs d’accueil de Juni.


Entre les tabourets du comptoir et les chaises disposées le long du bar courant sur les murs, l’adresse totalise seize places assises, doublées en terrasse à la belle saison. À l’entrée, deux bornes de commandes digitale permettent aux clients de choisir leur menu sur écran et de fluidifier le service aux heures de pointe. Ce qui n’empêche pas Grégory et ses équipes de prodiguer conseils et recommandations aux nouveaux venus, toutes générations et nationalités confondues. Preuve de l’hospitalité du lieu, « qui se veut tout sauf un ghetto », conclut son fondateur.