En mars, à Angers, Mei Narusawa reprenait la boulangerie Corneille, second point de vente de son ancien employeur, le Meilleur ouvrier de France Richard Ruan. La concrétisation d’un rêve pour cette boulangère japonaise passionnée de culture tricolore depuis l’enfance. « Ma mère vivait à côté d’une boulangerie française et j’étais fascinée par l’odeur du pain frais qui en sortait. Ma vocation de boulangère est née là », confie l’artisane.
Faute d’apprentissage professionnel au Japon à l’époque, elle met un premier pied dans un fournil à seulement 19 ans. Recrutée comme vendeuse dans une boulangerie française à Yokohama, elle bascule rapidement en production et apprend les rudiments du métier. Un séjour de deux semaines en France lui donne des envies d’expatriation. En 2008, elle a 26 ans et quelques économies. Armée d’un visa vacances-travail d’un an, elle débarque dans un village près de Nice pour prendre un poste d’ouvrière chez un boulanger-pâtissier. Elle découvre alors les pissaladières, tourtes de blettes, pan bagnats… « Techniquement, il n’y avait pas de grande différence avec le Japon. Par contre, le rythme n’a rien à voir. En France, les journées de travail sont plus courtes mais intenses », relève la boulangère, qui apprécie son temps de loisirs au point de s’imaginer vivre dans l’Hexagone.
Faute de renouvellement de son visa, elle est contrainte de rentrer au pays. Sa stratégie consiste alors à intégrer la maison Éric Kayser — une entreprise tricolore bien implantée au Japon — pour continuer à se perfectionner, en boulangerie comme en français. Elle y reste cinq ans, au bout desquels, après trois refus de visa de travail, elle repart en France avec un visa étudiant pour une formation en langues à l’Université de Strasbourg. Une fois sur place, elle décroche un poste chez un artisan où elle s’initie cette fois aux kouglofs, bretzels, flammekueche…
Prix de la Meilleure galette des Rois
En 2017, sur proposition de son patron, elle se lance dans le concours de la Meilleure baguette de tradition française sans trop y croire. Mais la boulangère n’est pas du genre à faire les choses à moitié. Elle teste plusieurs farines et méthodes (pointage en bacs à froid, sur poolish, etc.), s’entraîne dur, et remporte la finale locale. Elle réitère son exploit en régional, puis en national, à Paris : une surprise immense pour Mei Narusawa : « En tant que femme, en plus étrangère, je n’aurais jamais imaginé gagner ce concours ! »


Son titre, complété par un prix de la Meilleure galette des Rois en Alsace en 2018, la légitime dans le métier et lui ouvre des portes en France comme au Japon. Invitée à l’Épiphanie à l’Élysée, elle croise le président Emmanuel Macron et en profite pour lui glisser un mot sur son besoin de visa entrepreneur. Document qu’elle obtient et qui lui permet d’assurer diverses prestations, dont des démonstrations sur des salons, sous un statut d’autoentrepreneuse.
Mais elle rêve toujours de s’installer en France, dans sa propre boutique. Elle finit par élire domicile à Angers où elle connaît deux artisans : la boulangère japonaise Kaori Onishi de l’atelier Létanduère (lire LT n° 331) et le MOF Richard Ruan, propriétaire de deux boutiques. Toujours en tant qu’autoentrepreneuse, elle donne un coup de main aux deux, suivant les besoins. Jusqu’à prendre le relais de Richard Ruan à la boulangerie Corneille, ouverte en 2015 dans le centre-ville d’Angers.

Changement de propriétaire, changement d’offre ? Pas vraiment. « J’adhère à la philosophie de Richard Ruan, qui consiste à proposer de bons produits à des prix raisonnables : la boulangerie ne doit pas être un luxe », estime l’artisane, qui a conservé la fameuse madeleine du MOF à 0,30 € pour les petits creux.
Des produits de saison
Et ce n’est pas tout. Pour ne pas bousculer les habitudes de la (fidèle) clientèle, elle a gardé une grande partie de la gamme de son ancien patron ; des viennoiseries classiques au beurre demi-sel de la laiterie de Pamplie (Deux-Sèvres) — dont la fameuse brioche à tête — aux jolies pâtisseries boulangères (tartes aux fruits, cannelés, cookies, etc.), en passant par une dizaine de quiches-sandwichs (sur baguette, savate [ou ciabatta], croissant, pain de mie), qui fonctionnent très bien dans cette boutique urbaine. Le tout vendu sans boisson ni formule, mais fabriqué avec des produits de saison, locaux autant que possible.


En panification, elle met en pratique l’apprentissage d’un autre ancien patron : « Chez Éric Kayser, les méthodes de travail étaient les mêmes à Paris ou à Tokyo. J’y ai appris la possibilité de décliner plusieurs recettes de pains à partir d’une même pâte, en l’occurrence celle dela Tradition : un gain de temps en production. » Elle propose ainsi une dizaine de pains, baguettes et spéciaux sur levain liquide de blé, dont certains en grand et petit formats. Seul indice de ses origines nippones : un melonpain, sorte de briochette recouverte d’un appareil sablé.


Épaulée en vente comme en fabrication par son conjoint Yuki, Mei Narusawa a gardé, enfin, l’atmosphère et le décor du lieu — très traditionnel avec son fournil ouvert et son mobilier en bois, dont une ancestrale chambre de pousse. Son prochain challenge ? « Continuer à progresser, comme manager et comme technicienne. » En cultivant le patrimoine boulanger français tout en s’inspirant de la créativité et de l’expertise japonaise, régulièrement mises à l’honneur lors des concours internationaux.