Il est 11 heures en ce samedi matin. Dans un quartier résidentiel de Thionville, Le Petit Fournil ne désemplit pas. Marie-France, la vendeuse, n’a pas un moment de répit. Elle est aidée par Matthieu, le fils du patron Michel Panek (à droite sur la photo) qui, encore étudiant, donne un bon coup de main pendant les vacances.
Marie-France connaît bien son petit monde : la mère de famille qui va repartir avec ses quatre baguettes « bien cuites, surtout », ou l’amateur de schnecks* bien dorés. Julien fait partie de ces clients réguliers et enthousiastes : « Ici, le pain est excellent, mais c’est aussi le patron qui fait la différence. Ce n’est pas sans raison qu’il fournit tous les meilleurs restaurants de Thionville ! »

Bien que la boutique soit fermée tous les après-midi, dans le fournil, c’est encore l’effervescence en cette fin de matinée. Depuis trois mois, Quentin, a même été embauché pour assurer les livraisons dans les restaurants, et les dernières fournées de baguettes toutes chaudes vont partir. C’est Abdul, 34 ans, originaire d’Afghanistan, qui manie la large pelle.Il a été recruté il y a trois ans. Lozzo, salarié depuis quatre ans — originaire de Guinée, il vient d’avoir son CAP — et Mathéo, l’apprenti, finissent de ranger et de nettoyer. Abdul explique aimer l’effervescence de l’atelier et quand le client est satisfait.
Cadre du secteur bancaire
Michel Panek, 58 ans, a ce parcours typique des personnes qui se remettent en cause une fois la quarantaine venue. Ancien cadre du secteur bancaire, il en avait assez de la pression managériale, dans des entreprises où le profit passait avant tout. Un de ses oncles boulangers lui avait donné le goût du bon produit, du travail manuel, de l’investissement, dans un métier passion où l’on ne compte pas ses heures. C’est naturellement qu’il se tourne vers cette activité quand il choisit de quitter le milieu de la banque. « J’ai passé un CAP à Metz, à quarante-cinq ans, raconte-t-il, où je me suis retrouvé avec des jeunes. Je regrette d’ailleurs que les professeurs, les encadrants, y fassent miroiter une profession où les salaires sont soi-disant élevés sans trop se fatiguer. Je ne dirais pas que c’est l’inverse, mais presque…»

Et notre homme sait de quoi il parle : pendant trois ans, il est seul à tenir sa boulangerie, devant comme derrière le comptoir. « J’ai racheté ce fond, cela fera treize ans ce mois d’octobre, raconte-t-il. Tenue par un couple de trentenaires, l’affaire battait de l’aile. Nous ne sommes pas situés sur une artère commerçante et il faut vraiment se démarquer pour faire venir les clients.»
Des quatre quintaux de farine par mois que transformaient les anciens propriétaires, Michel est désormais passé à plus de cinquante. « C’était vraiment très difficile les trois premières années, sur le plan physique surtout, se souvient-il. J’en étais presque à héler les gens sur le trottoir tellement la boutique était peu visible. Et puis le bouche-à-oreille a fait son effet et j’ai pu embaucher du personnel. » Quand il le peut, le patron repasse derrière le comptoir, aimant discuter avec ses habitués. Un bon moment pour lui, qui lui rappelle ses débuts.

Baguettes tradition, Thionvilloise, Lorraine, fermentine...
Aujourd’hui, la gamme de pains est impressionnante, avec une cinquantaine de produits. Rien que pour les baguettes, Le Petit Fournil fabrique une dizaine de variétés : normale, Tradition, la Thionvilloise, la Lorraine, la sarmentine, la fermentine, la bleu-blanc-coeur, la Vosgienne… Mais, secret de fabrications oblige, aucune recette ne sera divulguée… Sauf pour la Lorraine, dont celle— à base de farine semi-complète biologique — est déposée, et pour laquelle l’artisan se fournit directement chez un agriculteur du secteur.
Le fournil produit aussi pains de campagne, aux céréales, complet, au son, biologique, au grand épeautre, au maïs, aux douze céréales, au chocolat, au miel, de mie, aux cranberries — baptisé Brexit, pour se moquer de nos voisins anglais. Il y a aussi le diabemix, pour les diabétiques ; le khorasan, et même des pains italiens, corses — ce dernier à la demande spéciale d’une cliente ; une spécialité maison, le crousticroq : avec des noix, des noisettes, des pistaches, des graines de lin bleu et jaune, de courge, et des amandes. La boutique propose très peu de pâtisseries ; uniquement le week-end, des tartes aux fruits de saison et quelques desserts traditionnels, comme le gâteau au sucre.

Le bio concerne un très faible pourcentage des volumes produits : moins de 5 %. Les pains au levain, eux, en représentent la moitié.
Les farines proviennent de trois moulins : Les Grands Moulinsde Paris, Moulins Soufflet, et un meunier des Ardennes. « Je n’achète aucun mélange préfabriqué, souligne Michel. Tout est brut : farines, graines. Nous faisons les arrangements nous-mêmes. J’ai tâtonné au début pour trouver ce qui fonctionne bien. De toute façon, il faut prendre son temps. Ici, nous prenons celui qu’il faut afin que la pâte lève, pour pétrir, façonner. C’est indispensable si l’on veut obtenir des produits de qualité, qui se conservent bien. »
Abdul démarre à deux heures du matin en semaine, Michel à minuit le week-end. Des horaires harassants, dontce dernier dit peiner à se remettre de plus en plus. Il espère tenir encore deux ans et passer la main, à Abdul si tout se déroule comme prévu. À Thionville, Le Petit Fournil est en passe de devenir une institution, tant ce genre de boulangerie à l’ancienne se fait rare.
* Escargots ou pains aux raisins, en dialecte mosellan.