Rencontres
Le boulanger Gilles Lassaux.
Le boulanger Gilles Lassaux. ©B. GUICHETEAU

Gilles Lassaux : boulanger au long cours

Apres un parcours hors des sentiers battus du métier, le boulanger Gilles Lassaux a jeté l’ancre à l’Épicerie Simple, une atypique cantine, micro-boulangerie artisanale et cave à vins à Toulon.

Visage buriné comme un marin, le boulanger Gilles Lassaux a bourlingué dans le métier, multipliant les escales, les expériences… et les galères depuis son apprentissage à la fin des années 1990 dans les Ardennes. « Ado, je me rappelle avoir été fasciné par la lecture du livre Les Maîtres du pain*, qui a été adapté en série pour la télévision. Une histoire de transmission et de panification à l’ancienne durant la seconde guerre mondiale.»

Le boulanger Gilles Lassaux a jeté l’ancre à l’Epicerie Simple en 2019. (© B. GUICHETEAU)

Pas scolaire pour un sou, il quitte l’école à 15 ans pour entrer en boulangerie : «J’ai aimé tout de suite le contact avec la pâte, la transformation de la farine, le travail de nuit… Une véritable école de la vie, de la patience, du respect. Mon premier maître d’apprentissage a été comme un deuxièm­e père », confie-t-il aujourd’hui.

Après sa formation en boulangerie, complétée par un an en pâtisserie, il enchaîne les remplacements pendant deux ans puis décide de s’engager dans la Marine. Il quitte alors son Nord-Est natal pour la Méditerranée et Toulon (Var), son port d’attache.

À quai comme en mer, il aide à la cuisine et à l’entretien du bateau, panifiant à l’occasion lors des missions. L’armée lui offre un cadre et lui apprend « la vie en communauté, la rigueur, la disci­pline ».

De retour à la vie civile en 2002, il enchaîne les contrats courts en boulangerie, vivotant entre deux postes et éprouvant les limites salariales du métier, « plutôt dévalorisé à l’époque », avec des salaires plafonnés malgré les années d’expérience accumulées.

L’Épicerie Simple et sa devanture bleu Klein animent le haut du cours Lafayette, cœur nourricier de Toulon. (© B. GUICHETEAU)

Des avaries matérielles le dissuadent d’être à son compte

En 2007, il a l’opportunité de reprendre une petite boulangerie à son compte dans un vieil immeuble du centre de Toulon, à deux pas du cours Lafayette, l’une des principales artères commerçantes de la ville.

Au démarrage, il poursuit la gamme de l’ancien propriétaire pour conserver sa clientèle. À la carte : du pain — premier poste de vente —, des viennoiseries, et quelques pâtisseries classiques le week-end. Un premier problème technique sur son four à pain lui vaut une facture d’énergie salée et le contraint à revoir sa fabrication. Les croissants maison, son produit signature, prennent peu à peu le pas sur le pain.

Il apprécie son indépendance mais il ne compte pas ses heures, au détriment de sa vie personnelle. Patron, il est loin de rouler sur l’or. « Embaucher un ouvrier qualifié pour fabriquer des croissants maison et le rémunérer à la hauteur de son savoir-faire est difficilement rentable, ce qui explique le recours aux viennoiseries surgelées et une certaine standardisation du métier », déplore l’artisan, qui finit par mettre la clé sous la porte en 2015, après de nouvelles avaries matérielles. S’ensuit une période de petits boulots plus ou moins précaires et mal rémunérés.

L’Épicerie Simple et sa devanture bleu Klein animent le haut du cours Lafayette, cœur nourricier de Toulon. (© B. GUICHETEAU)

Un four à bois sur roulettes

Fin 2018, l’éclaircie va venir en la personne d’Emmanuel Galera, le fondateur de l’Épicerie Simple (lire encadré), sise 48 cours Lafayette à Toulon. Partageant un même amour de la bonne bouffe et des valeurs humaines, les deux hommes s’associent pour étoffer la carte de restauration de ce lieu, atypique dans le paysage culinaire local.

Emmanuel achète les matières premières, paye les factures d’énergie et met à disposition son outil de travail, quand Gilles apporte son savoir-faire et son expertise technique sous le statut d’autoentrepreneur. « Et on se partage les recettes », explique le boulanger.

Son (maxi) croissant est le « meilleur du monde » pour les lecteurs du quotidien Var-Matin. (© B. GUICHETEAU)
Les grandes tablées conviviales servent à la présentation des produits comme à la restauration. (© B. GUICHETEAU)
Le boulanger fabrique aussi quelques pâtisseries, à commander ou à déguster sur place. (© B. GUICHETEAU)

Au départ il vient seulement deux jours par semaine pour réaliser quelques produits, comme des pains pitas pour le restaurant, dans un petit four électrique. D’anciens clients lui réclament bientôt ses fameux croissants.

Tant et si bien qu’Emmanuel Galera finit par investir dans un four ventilé pour lancer conjointement en 2020 une courte gamme de viennoiseries pur beurre (croissants, pains au chocolat, brioches) aux formats généreux. Fabriquées par Gilles et vendues chaque matin du mercredi et dimanche, celles-ci participent à l’attractivité de l’épicerie et alimentent sa carte de petits déjeuners et de brunchs le week-end.

Autre produit phare : le pain, cuit chaque jour dans un four à bois sur roulettes de la marque belge Mavhek, installé en plein air sur le cours Lafayette. Acheté d’occasion, ce dernier interpelle les passants comme les touristes. Aux environs de 8 heures, Gilles y enfourne ses pâtons de 500 g pétris aux premières heures du jour.

Sa gamme compte une petite poignée de références aux croûtes dorées et à la mie dense (campagne, kamut, petit épeautre), avec un faible ensemencent mixte levure/levain. À l’occasion, il prépare aussi des fougasses aux olives et des pâtisseries sur commande pour le service à table et la vente à emporter (opéras, millefeuilles, tartes au citron meringuées ou chocolat-tonka sur une épaisse pâte sablée), ainsi que des fonds de pâtes pour le restaurant.

La gamme boulangère a été pensée en complémentarité avec l’offre et l’identité du lieu. (© B. GUICHETEAU)
En-cas local : la petite fougasse aux olives. (© B. GUICHETEAU)
Le mini-four à bois mobile (Mavhek) de Gilles est l’une des attractions du marché matinal. (© B. GUICHETEAU)

Malgré des revenus variables suivant sa production, les ventes et les saisons (plus 30 % en été, tourisme oblige), Gilles Lassaux apprécie son confort de vie actuel et la collaboration avec Emmanuel Galera. Collaboration appelée à évoluer en fonction des projets et des opportunités, alors même que la ville connaît un renouveau impulsé par la réhabilitation de son centre.

En témoigne la récente ouverture de la halle Biltoki, à deux pas du cours Lafayette, nouvelle pierre à l’édifice d’une scène culinaire en pleine effervescence. Pour Toulon comme pour Gilles, le vent est bel et bien en train de tourner.

* Lenteric B. Les maîtres du pain. Paris: LGF Livres de poche; 1995.

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