« Naraé est un bébé Hyatt », indique le chef étoilé Jean-François Rouquette. Il a repéré il y a sept ans au Vietnam, combien la jeune pâtissière coréenne était passionnée par son métier. Naraé Kim a fait ses premiers pas professionnels dans des établissements Hyatt ; l’école de pâtisserie de sa ville natale, Dangjin, ayant un partenariat avec le groupe hôtelier.

Son premier stage se déroule au Hyatt Regency Guam en Micronésie, un territoire insulaire de l’océan Pacifique. L’année suivante, elle prend un poste de commis pâtissière au Grand Hyatt Séoul (Corée du Sud) où elle est l’une des rares femmes de l’équipe. Son travail remarqué lui permet de devenir en 2015 sous-cheffe pâtissière puis cheffe pâtissière au Park Hyatt Saigon d’Hô Chi Minh-Ville (Vietnam). Arrivée en France en 2018, elle travaille tout d’abord sous l’aile de Yannick Alléno et, à partir de 2021, au Park Hyatt Paris-Vendôme, 5 rue de la Paix dans le 2e arrondissement. « Ce serait formidable que tu viennes m’aider à structurer ma pâtisserie », lui a dit Jean-François Rouquette. Ils travaillent ensemble à amener de l’émotion sur la technique, aux très inventifs et précurseurs desserts servis aux tables de l’hôtel (Pur’ et Café Jeanne). Le chef ajoute : « Le titre de Pâtissière de l’année 2024 — disputé par trois cents pâtissiers — est pour elle le commencement de quelque chose de nouveau. Maintenant, elle doit imposer sa marque et faire briller son nom. » En chinois, Naraé veut dire “la joie, la beauté arrive” ; et en Coréen, “voler comme un papillon”…
La Toque magazine : Qu’avez-vous ressenti le 6 novembre dernier lors de la cérémonie au Pavillon d’Armenonville à Paris ?
Naraé Kim : J’ai beaucoup apprécié, et je remercie le guide Gault&Millau pour ce prix. C’est pour moi une grande chance, un grand honneur. J’ai reçu beaucoup de messages de sympathie. J’ai aussi beaucoup de pression. Je dis toujours à mon équipe : le prix c’est le prix mais chaque jour il faut faire au mieux, et c’est ce que j’essaie de faire, toujours mieux.
LTM : Pouvez-vous nous parler de vos origines, et de comment s’est développé votre goût pour la pâtisserie ?
N.K. : Je suis fille unique, née en 1989 dans une famille très normale de Dangjin, au sud de Séoul. Ma mère reste à la maison et mon père travaille dans le secteur du bâtiment. À 15 ans, j’ai suivi des cours dans une petite académie de pâtisserie et boulangerie française qui s’est ouverte à Dangjin. J’ai tout de suite aimé l’idée de partager des gâteaux avec mes amis et ma famille. En Corée, on prépare peu de gâteaux, uniquement pour les anniversaires et Noël.

LTM : Avez-vous beaucoup expérimenté seule ?
N.K. : J’allais dans une librairie consulter des livres. Puis j’essayais les recettes chez moi en travaillant beaucoup. Le premier gâteau que j’ai réussi à monter était un fraisier. J’ai toujours à la maison les trois livres Le Cordon Bleu — L’École de la pâtisserie (aux éditions Larousse), dans lesquels j’ai appris le feuilletage de la galette des Rois, l’un de mes desserts préférés.
LTM : Pourquoi avez-vous participé à des compétitions de très haut niveau ?
N.K. : J’aime la tension de la compétition, me confronter et développer de nouvelles compétences. J’ai appris les pièces montées chocolat et les pièces artistiques en sucre. À Hô Chi Minh-ville, il y avait peu d’équipements pour m’exercer. Alors j’allais en Corée, dans le labo d’amis professionnels, passer une semaine avant les concours, pour travailler. En 2015, j’ai remporté le prix pour la zone Asie, et en 2016 la médaille d’or du World Global Pastry Chef Challenge [la plus réputée des compétitions internationales de pâtisserie, NDLR].
LTM : Quand êtes-vous venue en France et pour quelle raison ?
N.K. : La France est pour moi la capitale de la pâtisserie. J’ai toujours rêvé de travailler à Paris ! En 2018, avec les chefs Yannick Alléno et Aurélien Rivoire, j’ai appris comment passer du produit brut au dessert à l’assiette. J’ai été impressionnée par l’assiette pleine de saveurs, de textures et de températures différentes. Je faisais jusque-là uniquement des gâteaux et des pièces montées.
LTM : Comment travaillez-vous au labo du Park Hyatt Paris-Vendôme ?
N.K. : Je propose une idée au chef Jean-François, on discute, et on goûte ensemble. Mon équipe est très jeune, que des femmes, de cinq nationalités différentes. Nous sommes onze, une équipe du matin et une du soir. Je travaille les produits naturels. Ce qui est le plus important pour moi, c’est le goût ; puis la texture et les autres notes qui arrivent en bouche. Il faut goûter ! Je goûte tout le temps à tout ; on me surnomme parfois le hamster, pour mes joues. Nous avons en cuisine une échelle de maturité des fruits. Nous les préparons au moment précis, pour ne pas avoir besoin d’ajouter trop de sucre.



LTM : Votre galette des Rois est rectangulaire, la signature de votre audace ?
N.K. : Elle reprend la forme de la place Vendôme vue du ciel, et s’inspire de la haute joaillerie. Au feuilleté et à la frangipane, j’ajoute une gelée d’oranges sanguines, qui apporte de l’acidité et de la fraîcheur. Et tout autour, on dépose des brillants, des amandes enrobées de cristaux d’isomalt.