Les clients qui se garent devant la boulangerie A Pain de Loup, dans la zone industrielle des Ecassaz, à Belley (Ain), n’arrivent pas là par hasard. La plupart sont des habitués venus récupérer leur commande de pains et de brioches — ou, en ce mois de janvier, leur couronne des rois. « Je vois aussi arriver des touristes qui ont cherché sur le Web une boulangerie bien notée », ajoute Elaine Boury, qui a créé cette boulangerie bio en 2021, pour ses trente ans.
Le projet était d’ouvrir en plein centre du village, qui compte des boulangeries classiques mais aucune ne travaillant, comme elle, avec 100 % de levain naturel. Cela n’a pas marché… mais à quelque chose malheur est bon : « Finalement, cet emplacement n’est pas mal, positive-t-elle. Le local est bien plus grand et lumineux pour un loyer moins cher : j’ai cent quarante-cinq mètres carrés de plain-pied. Et les clients se garent plus facilement. En revanche, l’absence de passages m’a obligée à miser sur des intermédiaires. Je livre un magasin bio en centre-ville et un réseau de distributeurs dans un rayon de trente kilomètres : boutiques de producteurs, épiceries, maraîchers en vente directe, restaurants, crèches, salons de thé… »
Elle a aussi déployé des moyens pour se faire connaître : publicités payantes dans la gazette du coin, communication sur les réseaux sociaux, flyers dans les commerces locaux, grands panneaux à l’entrée de la zone industrielle… Et le réseau de distributeurs ainsi que des partenariats ponctuels avec d’autres professionnels, ont peu à peu accru sa visibilité.
Sur le marché le samedi matin
La boulangerie réalise autant d’activité en BtoB qu’auprès des particuliers, mais ces derniers concentrent le gros de leurs achats le samedi matin. Ce jour-là, le magasin est fermé, Elaine passe la matinée sur le marché du village. Une demi-journée harassante mais gratifiante : elle y effectue autant de ventes qu’en trois jours de semaine. Bien qu’il y ait d’autres offres de pains au levain sur le marché, personne ne se marche sur les pieds : « Nous n’avons pas tous les mêmes techniques de fabrication », souligne-t-elle.
La jeune femme a appris le métier à l’École internationale de boulangerie, après une première carrière dans la maroquinerie. « J’ai voulu créer une entreprise alignée avec mes valeurs, résume-t-elle. Je voulais produire de mes mains quelque chose de beau et bon, en étant ancrée dans l’économie locale et circulaire, avec un impact positif sur la santé de mes concitoyens et en respectant l’environnement.» Son projet A Pain de Loup veut, tel l’animal sauvage dont il porte le nom, laisser la plus faible empreinte possible sur la nature.
Vingt heures de fermentation
Sa gamme est courte et réalisée sans farine raffinée. Quatre levains servent à la confection des pains, sans ajout de levure : levain de seigle pour la majorité de la gamme, de petit épeautre pour le pain d’épeautre, de riz et de sarrasin pour le pain sans gluten, et de blé pour le pétrin “spécial blés anciens” du vendredi. Ensemencées avec 300 g de levain par kilo de farine, les pâtes développent lentement leurs arômes au cours d’une fermentation longue de plus de vingt heures. Après une nuit au froid, les cuissons sont lancées vers 6 heures afin de livrer les professionnels assez tôt.
« Je ne fais pas de viennoiseries feuilletées mais des brioches et des babkas 100 % végétales — ce qui règle beaucoup de problèmes d’allergies ou d’intolérances, expose la boulangère. Pour les brioches comme pour les focaccias, j’utilise de la biga : une pâte préfermentée italienne souvent utilisée pour les pizzas. Cela me permet d’obtenir beaucoup de moelleux en ajoutant très peu de levure — seulement vingt-cinq grammes par kilo de farine. »
Le beurre traditionnel est remplacé par un « beurre de coco-tournesol » non hydrogéné, neutre en goût et à peine moins cher que le beurre traditionnel. « Pour le côté local, il y a mieux, mais il vient d’une filière équitable, aux Philippines, qui ne déforeste pas », précise celle qui joue la transparence sur toutes ses matières premières. Elle va jusqu’à « partager ses bons plans » avec ses clients en vendant des ingrédients qu’elle a sourcés : farines bio locales écrasées sur meule de pierre, amandes de Sicile…
Du reste, la boulangère n’a pas de secrets pour ses clients. Il n’y a pas d’espace magasin dédié : en dehors des horaires d’ouverture, Elaine et sa salariée Florence utilisent tout l’espace pour la fabrication. Entre midi et 13 heures, puis de 16 heures à 18 h 30, le mobilier sur roulettes permet d’aménager en un clin d’œil un petit espace de vente devant l’entrée. « Les gens sont accueillis dans le fournil : ils voient que le lieu où est produit le pain est nickel car on y passe chaque jour l’aspirateur et la serpillière !» souligne Elaine.
Des précommandes en ligne évitent les invendus
L’essentiel de la production se fait sur commande en ligne, au moins quarante-huit heures à l’avance. Le paiement est aussi possible en ligne. Un excédent de production est toujours prévu pour les habitués ayant oublié de réserver, ainsi que pour les rares clients de passage. La plupart passent une commande par semaine car ces pains se conservent bien.
En venant la récupérer, ils peuvent se laisser tenter par des briochettes ou par la gamme de biscuits secs salés ou sucrés : certains clients achètent les crackers salés par kilo et les barres de céréales par dizaines !
En plus du marché le samedi matin, la boutique est ouverte trois jours par semaine, du mercredi au vendredi. L’offre salée (deux ou trois recettes de sandwiches de saison), proposée exclusivement à midi, fonctionne très bien grace aux salariés des entreprises voisines. Ce système de précommandes génère très peu d’invendus. Ces derniers sont proposés le lendemain avec une décote de 10 %, puis le surlendemain à moitié prix. Si besoin, ils finissent en croûtons à l’huile d’olive, et font encore des heureux…