Au cœur du Parc naturel régional de Chartreuse, en Isère, Sandrine Chappaz crée des gourmandises inspirées par la nature. Après s’être formée à l’Institut national de la boulangerie pâtisserie de Rouen, « un des seuls lieux à l’époque qui proposait un CAP chocolatier en quatre mois et demi sans prérequis de CAP pâtisserie », elle a ouvert une chocolaterie dans son village de Saint-Laurent-du-Pont. Depuis onze ans, son atelier-boutique où tout est fait maison ne désemplit pas.
La Toque magazine : Votre chocolaterie est excentrée, presque cachée. Pourquoi vous être installée ici ?
Sandrine Chappaz : C’est vrai, les clients nous trouvent grâce au GPS, il nous arrive aussi de les guider par téléphone ! Quand j’ai décidé de créer l’entreprise, je prévoyais de travailler uniquement avec des entreprises et des restaurants étoilés. Nous avons choisi de construire l’atelier chez nous — je suis originaire de ce village — et nous habitons juste de l’autre côté du mur ! La clientèle professionnelle s’est développée comme prévu, mais des particuliers sont aussi très vite venus frapper à la porte. Avec le bouche à oreille, cette clientèle s’est tellement développée qu’il a fallu aménager un petit espace de vente dans l’atelier. Aujourd’hui, ils représentent 60 % de notre chiffre d’affaires, les entreprises 30 % et les restaurants étoilés 10 %.
LTM : La nature, omniprésente autour de vous, est-elle source d’inspiration ?
SC : Beaucoup ! Là, la neige a fondu, j’ai hâte d’aller cueillir des bourgeons de sapin. Un peu plus tard, ce sera le tour des fleurs de sureau. Et ensuite, nous cueillerons les plantes aromatiques que nous cultivons dans notre jardin. Elles servent chaque année à confectionner la collection éphémère herbacée. Elle comprend sept recettes, dont trois reviennent chaque année : verveine, agastache et géranium rosat. Les autres varient. Les belles découvertes de l’an dernier étaient l’oeillet-réglisse et la menthe-fraise — imaginez le goût de fraise avec la fraîcheur de la menthe, c’est fabuleux ! Cette collection — qui plaît beaucoup — exige de faire beaucoup de tests avant de réussir les ganaches : certaines plantes infusent mieux à froid, d’autres à chaud, mais pas toutes à la même température… Et certaines supportent d’être séchées quand d’autres doivent être utilisées fraîches. Comme pour tous nos chocolats, sans conservateurs et modérément sucrés, la date limite d’utilisation optimale est d’un mois mais nous conseillons de les déguster sous deux semaines.
LTM : Vous aimez aussi les collaborations…
SC : Oui, elles sont l’occasion de passionnantes rencontres qui nous tirent sans cesse vers le haut ! Je fais beaucoup de recettes sur-mesure pour des chefs étoilés. L’an dernier, l’un d’eux m’a apporté une caisse de narcisses à utiliser dans une création. En ce moment, un chef me demande un chocolat à la gelée de céleri-rave avec une ganache au grand cru sauvage de Bolivie, qu’il sert avec une pointe de caviar. C’est technique, car le céleri-rave est fibreux et a un pH basique qu’il faut équilibrer pour que la gelée se tienne… Nous avons aussi travaillé avec un fromager sur une gamme de pâtes de fruits à déguster en accord avec différents fromages. Et depuis quelques années, nous avons une belle collaboration avec une ferme laitière voisine : elle fabrique un saint-marcellin frais, dans lequel est inséré un disque de gelée à la chartreuse verte que nous confectionnons.
LTM : Avez-vous des demandes pour des régimes particuliers ?
SC : De plus en plus, ce qui nous a conduits à nous adapter. Nous avons créé une tablette de chocolat végane à la poudre de “lait” de riz, une tablette sans sucre et sans lactose sucrée au maltitol… Et nous avons supprimé toutes les feuilletines pour que nos produits soient sans gluten, à l’exception des barres chocolatées qui ont une base biscuitée.
LTM : Qu’est-ce qui vous passionne le plus ?
SC : Créer, faire goûter et voir des étincelles de plaisir dans les yeux des gens ! Le travail des fèves n’est pas la partie qui m’intéresse : chacun son métier, et nous travaillons avec trois excellents couverturiers qui font très bien le leur ! En revanche, nous goûtons beaucoup pour sourcer les meilleures matières premières — chocolats, fruits secs… Récemment nous avons découvert un nouveau sésame : il coûte 19 euros le kilo mais il est incomparable avec l’ancien, à 6 euros le kilo ! Par contre nous subissons de plein fouet l’inflation, et notamment la hausse du prix du cacao. Celui du chocolat a pris environ 15 % en un an, et on nous annonce encore plus 20 %… Nous avons légèrement augmenté nos prix en septembre dernier mais nous ne pouvons pas répercuter toutes les hausses. En zone rurale, il n’est pas possible de pratiquer les prix parisiens car nous avons une super clientèle locale à qui nous voulons continuer à faire plaisir.
LTM : Quels sont vos projets ?
SC : Nous allons avoir un vrai magasin avec pignon sur rue car nous venons de racheter un fonds de commerce dans le centre du village. Ici, il n’y aura plus que de la fabrication. L’équipe va s’agrandir pour développer de nouvelles gammes alliant biscuiterie, chocolaterie, glacerie et gâteaux de voyage. Le potentiel de création est infini, c’est ce qui rend ce métier passionnant… et frustrant, car on ne pourra jamais tout tester !