Vers 11 heures, les passants ralentissent l’allure au niveau de la porte entrouverte du 17 rue Victor-Massé, dans le 9e arrondissement de Paris. « C’est l’heure à laquelle je reçois des compliments pour les bonnes odeurs qui s’échappent », sourit Quentin Hua en sortant sa première fournée de madeleines. Sa boutique a ouvert en mai 2022, après une reconversion professionnelle décidée — comme tant d’autres — pendant la crise du covid.
Le jeune diplômé d’une école de commerce était auparavant un salarié « très heureux » d’une grande banque. La fibre entrepreneuriale, sans doute héritée de ses parents, est venue le titiller durant les confinements. Il s’est posé trois questions : « Qu’est-ce que j’aime faire ? Qu’est-ce qui marche ? Qu’est-ce qu’on ne trouve pas partout ? résume-t-il. J’aime cuisiner, les concepts de monoproduits fonctionnent très bien à Paris, et il y a très peu de spécialistes de la madeleine. »
Et tant pis pour le cliché puisque c’est la vérité : la madeleine était aussi un merveilleux souvenir d’enfance. « Je n’ai jamais retrouvé, même chez des pâtissiers, la texture mi-croustillante, mi-moelleuse de la madeleine sortie du four que je dégustais avec un chocolat chaud dans un café », raconte l’artisan. Pour lui, le gâteau se déguste « comme un soufflé », à la sortie du four. Au Comptoir de Madeleine, les cuissons s’étalent donc sur la journée pour proposer à toute heure ces gourmandises « ultra-fraîches ». « Pour obtenir le goût et la texture voulus, mais aussi la belle bosse caractéristique, j’ai travaillé ma recette pendant un an et demi, reprend Quentin Hua. Ensuite, j’ai appris à être régulier dans la qualité malgré les variations de l’hygrométrie, de la température de la pièce… »
Caramel beurre salé, chocolat-noisette, citron ou vanille
Tous les ingrédients de base (farines, œufs, beurre, sucre) sont français et achetés en circuits courts. La pâte est préparée la veille pour le lendemain en différentes versions : une base nature pour les madeleines qui seront garnies de caramel au beurre salé ou de pâte à tartiner chocolat-noisette (bio et sans huile de palme), une pâte parfumée au citron bio de Sicile, et une autre à la vanille de Madagascar. Une recette éphémère s’ajoute aux précédentes, variant au gré des saisons et des humeurs, et parfois des suggestions des clients : pistache, rose, framboise, matcha, fleur d’oranger… Celle qui se vend le mieux reste cependant, et de loin, la madeleine “classique” à la vanille.
Vente à emporter, à travers une fenêtre
La vente se fait uniquement à emporter, par la grande fenêtre. Aucun client ne pénètre dans l’atelier où Quentin Hua officie seul. Les week-ends, des extras viennent le seconder à la vente, qui atteint alors 400 à 500 madeleines par jour contre 200 en semaine. Le bouche à oreille, qui fonctionne particulièrement au sein des entreprises, lui amène régulièrement de nouveaux clients. La plupart repartent avec une boîte de cinq, d’autres se contentent d’une madeleine à croquer en marchant. Pour l’accompagner, un verre de citronnade maison est parfois proposé : c’est une façon d’utiliser le jus des citrons dont le zeste a été prélevé.
En fin de journée, les éventuelles madeleines invendues sont mises sur Too Good To Go à prix cassés. « Elles partent souvent dans la minute même ! » observe l’artisan. À croire que certains clients guettent la mise en vente des paniers sur l’application, comme d’autres, sur le trottoir, guettent l’ouverture du comptoir à 11 h 30 précises.
Les habitués se montrant au moins une fois par semaine représentent un tiers de la clientèle, dont une autre partie est constituée de touristes attirés par les bons avis sur Google. L’emplacement de la boutique le permet. « Je n’avais pas les moyens de payer un local ayant pignon sur rue, mais je voulais absolument un quartier fréquenté à la fois par des habitants, des entreprises et des touristes, pour vendre aussi bien la semaine que le week-end et ne pas perdre tous mes clients si les frontières fermaient à nouveau », confie l’artisan. En plus, des liens se sont noués avec les commerçants du quartier, contribuant chez lui au plaisir de venir travailler tous les matins.
Il a cependant fallu au départ convertir les gens à la madeleine haut de gamme. Quelques dégustations offertes et le travail d’une agence de communication pour faire parler de la boutique dans les médias ont peu à peu attiré les gourmets. En revanche, Quentin Hua n’a pas misé sur le e-commerce, qui reste anecdotique. « Pour les clients, cela fait partie du plaisir de venir voir l’atelier et de savourer les bonnes odeurs, estime-t-il. Et pour moi, entendre leurs compliments est très gratifiant. Surtout quand ils me disent être réconciliés avec les madeleines ! »
Le positionnement prix a été réfléchi de manière à rester abordable : « Je fabrique un produit haut de gamme, mais pas de luxe : la madeleine reste quelque chose de simple, estime-t-il. Pour des consommateurs, dont la seule référence est un produit de supermarché, le prix de 2,10 euros peut même déjà sembler cher. Mais en goûtant, ils voient la différence. » Toutes les madeleines, garnies ou non, sont au même prix — et la garniture est généreuse. Les prix sont dégressifs avec la quantité qui augmente. « Parfois, on me demande du sans gluten ou du végane, mais je n’en fait pas car cela m’obligerait à vendre mes madeleines à trois ou quatre euros, s’excuse Quentin Hua. Ce n’est pas l’esprit… J’ai voulu créer une boutique qui reflète l’essence de la madeleine : la simplicité alliée à l’excellence. »