Quand il n’enfile pas un tablier de boulanger, Christophe Girardet aime chausser des bottes et arpenter les champs de ses partenaires agricoles. L’association Les Robins des champs, qu’il a cofondée avec six céréaliers, a mis sur pied une micro-filière locale du blé au pain. Devenu un ambassadeur de l’agriculture régénérative et bas carbone, le patron des boulangeries Victor et Compagnie souhaite l’engagement de toute la filière.
La Toque magazine (LTM) : Comment vous êtes-vous passionné pour l’agriculture ?
Christophe Girardet (CG) : Mes parents étaient artisans bouchers-charcutiers et, tous les étés jusqu’à mes douze ans, je passais mes vacances à la ferme chez des agriculteurs de Saône-et-Loire. J’y ai appris à traire les vaches, fabriquer du fromage, faire des confitures, réaliser des gâteaux et des crèmes aux œufs de la ferme… J’y ai acquis la passion et le respect de la terre et des produits ainsi que l’amour de la cuisine. Ayant cette sensibilité, j’ai toujours voulu travailler avec des producteurs locaux. D’autant plus que nous avons la chance près de Lyon d’avoir pléthore d’offres de produits locaux divers. L’écosystème autour de moi me passionne ! Je crois que dans les métiers de bouche, pour bien travailler, nous devons être curieux et nous intéresser à ceux qui nous entourent. Nous sommes des ambassadeurs de l’agriculture française.
LTM : Comment sont nés Les Robins des Champs ?
CG : Dès mes débuts en tant que boulanger, j’avais des liens avec la chambre d’agriculture du Rhône, qui m’aidait à trouver des agriculteurs locaux pour m’approvisionner. Un jour, la chambre m’a proposé de m’associer à la réflexion d’un groupe de céréaliers de l’ouest lyonnais qui étaient dans une démarche d’amélioration de leurs pratiques et cherchaient à valoriser leur travail. Un céréalier qui livre son blé sans savoir ce qu’il en advient n’a pas de feed-back sur la qualité de son travail et une partie de la valeur ajoutée lui échappe. Inversement, les consommateurs ne connaissent pas le travail du céréalier. Nous avons réfléchi ensemble à un moyen de le rendre plus visible, plus transparent et mieux rémunéré. Et nous avons choisi de monter une micro-filière locale blé-farine-pain. Nous l’avons nommée Robin des Champs : sa mission est de sauver les paysans comme celle de Robin des bois était de sauver les pauvres ! Aujourd’hui, l’association compte six fermes cultivant au total trois cents hectares de céréales et un boulanger – moi-même. Nous travaillons avec un meunier à qui nous livrons un blé prêt à être écrasé car, au fil du temps, nous avons investi dans des infrastructures : nous trions et stockons nous-mêmes le blé. En dehors de mes deux boulangeries, qui achètent toute leur farine de blé aux Robins des Champs, l’association fournit une quarantaine de professionnels.
LTM : Ce blé est issu de l’agriculture régénérative. Qu’est-ce que cela signifie ?
CG : L’agriculture régénérative est une sorte de permaculture à grande échelle, sans labour et avec de longues rotations de cultures. Elle prend soin de la vie du sol, qui retient mieux l’eau et stocke du carbone. Les fermes ont ainsi obtenu le label Bas-Carbone, validé par des méthodes officielles de calcul. C’est, à notre échelle modeste, une contribution aux objectifs nationaux de décarbonation. Mais il faut vulgariser et massifier le mouvement. Car si on laisse nos terres se dégrader avec des pratiques non durables, cela va mal finir ! Il faut envoyer des signaux forts aux agriculteurs pour qu’ils s’engagent dans la bonne voie. Ceux-ci doivent partir de toute la filière, et notamment de nous, boulangers. Il nous revient aussi de faire comprendre aux consommateurs que les méthodes culturales sont importantes pour la Terre et l’avenir de nos enfants. C’est pourquoi à Victor et Compagnie, nous communiquons beaucoup sur ces enjeux et allons régulièrement tourner des vidéos dans les champs des agriculteurs.
LTM : Du point de vue du boulanger, comment se distingue leur farine ?
CG : C’est une farine 100 % blé, zéro additif ! Ce qui est rendu possible par le gros travail réalisé en amont, sur le choix des variétés notamment. Nous sélectionnons chaque année sept-huit variétés selon leur intérêt en termes de goût, de couleur, etc. Au lieu d’assembler les lots après moisson, elles sont semées en mélange à l’automne. Elles résistent ainsi mieux aux maladies, et un seul silo de stockage suffit.

LTM : Comment s’adapter à des propriétés technologiques plus fluctuantes ?
CG : Le besoin de standardiser la farine vient, hélas, d’une perte de savoir-faire des boulangers. Dans le vin, la notion de millésime n’est pas un problème ! Il me semble que ce devrait être pareil en farine, où il est normal de ressentir l’impact du terroir et du climat de l’année. On recale nos recettes si besoin. C’est facile si les maillons de la filière se parlent : boulangers, meuniers, agriculteurs… et cela redonne du sens au métier de boulanger en valorisant son savoir-faire : il n’est pas un robot.