De New York à Tokyo en passant par Londres, Christophe Michalak a exercé aux quatre coins de la planète. Vingt ans après son titre de Champion du monde de la pâtisserie et dix ans après le lancement de sa première boutique, son ambition reste intacte.
Le chef, aussi à la tête d’une boulangerie depuis 2021 dans le 10e arrondissement de Paris, est un obstiné. Il ne devait faire qu’un stage d’une durée d’un mois chez Fauchon : il y restera deux ans car il a su, comme il le dit, « se faire remarquer ».
Il appliquera la même recette lorsque le chef cuisinier Jean-François Piège, alors au Louis XV (Monaco), rencontré quelques années auparavant au Negresco, à Nice, l’appelle et lui dit : « On va déménager au Plaza Athénée [Paris 8e]. Ducasse cherche un chef pâtissier, je t’ai pris rendez-vous avec lui cet après-midi ». Le crack Michalak, initialement parti pour un test de six mois, y passera plus de quinze ans. Il exauce alors un rêve : celui de travailler dans un palace.
La Toque magazine (LTM) : Dix ans après le lancement de votre première boutique et douze ans après celui de votre marque, quel bilan faites-vous ?
Christophe Michalak (CM) : C’est un accomplissement, mais le chemin est très long. Avant d’être entrepreneur, j’étais un chef pâtissier heureux : dans un grand palace parisien [le Plaza Athénée, NDLR], avec ma boîte de conseil. Je donnais des cours dans le monde entier et faisais beaucoup de télévision, de livres. Mais j’avais une crainte : devenir has been. Pour rester dans l’air du temps, il fallait que je me développe.

LTM : Assez rapidement, vous ouvrez plusieurs boutiques…
CM : En 2013, je n’avais pas les moyens d’ouvrir une vraie pâtisserie dans un lieu chic de Paris. Avec ma femme, nous avons lancé une masterclass avec deux-trois pâtisseries : les Kosmik Fantastik, qui changeaient tous les jours. Deux ans plus tard, j’ai investi tout ce que j’avais gagné grâce à la télé dans ma boîte. En 2015, j’ai pu ouvrir ma première pâtisserie physique, au 16 rue de la Verrerie, dans le Marais [4e arr. de Paris] ; un an plus tard celle de Saint-Germain-des-Prés [Paris 6e], puis une nouvelle boutique à peu près tous les ans… et en 2018, au Japon.
LTM : Puis la boulangerie… un retour aux sources ?
CM : Oui, j’ai commencé mon métier par la boulangerie. J’ai décidé d’en ouvrir une juste après le covid. La rusticité de la boulange me manquait. Je voulais proposer des choses plus simples et plus ludiques à manger, sans pour autant surfer sur ce qui existait déjà.
LTM : Comment vous êtes-vous distingué ?
CM : En proposant d’abord des grands pains à partager ou ce pain au chocolat avec une vraie tablette de chocolat à l’intérieur, ce croissant bretzel salé et croustillant avec une solution trempée dans un bain de saumure, cette madeleine ultra-généreuse avec son glaçage ou fourrée au chocolat façon pâte à tartiner ; et un gâteau change toutes les semaines dans la gamme. Par la suite, je me suis dit qu’il fallait associer ces deux univers — la pâtisserie et la boulangerie —, comme dans la boutique rue du Bac [Paris 7e], avec la partie goûter, viennoiseries d’un côté, et de l’autre la pâtisserie, le chocolat… Je voulais offrir une pâtisserie et une boulangerie de luxe, où tout est mûrement réfléchi, où tout doit sortir à la perfection. Il y a cent références ici…

LTM : Sans oublier l’offre snacking, très élaborée
CM : Ne mangeant pas de viande, il n’y a ni poulet ni jambon ou rillettes dans mes produits. Mais je ne communique pas dessus. C’est intrinsèque à ma personne. C’est plus difficile à travailler. Cela nécessite un vrai boulot au niveau de l’assaisonnement. C’est un snacking ultra-pointu.
LTM : Où puisez-vous l’inspiration ?
CM : La jouissance de ce métier, c’est la création. Je me flagelle tous les jours pour apporter le meilleur du meilleur. Je fais le tour de Paris, le tour de France et du monde pour tout goûter. Apporter un renouveau, c’est important. Mais il faut que ça vienne de soi, que ce soit incarné. Le classique, c’est important mais la pâtisserie, ça évolue. Je préfère créer des tendances plutôt que les suivre. Et cela, sans jamais courber l’échine et croire que l’on est arrivé au bout.
LTM : Avez-vous toujours voulu être pâtissier ?
CM : Quand j’avais six ou sept ans, je voulais être super-héros, j’étais persuadé que Spiderman existait. Puis dessinateur. Je songeais à faire les beaux-arts mais je n’ai pas pu. J’ai eu une enfance très dure, on déménageait souvent. Je décide donc d'apprendre la cuisine mais je suis tombé sur un Thénardier. J’ai donc bifurqué très vite, à quatorze ou quinze ans, vers la pâtisserie. J’ai dû faire un préapprentissage car je n’avais pas seize ans, l’âge légal pour devenir apprenti. J’étais dans une boulangerie pourrie et j’ai fait un apprentissage dans la pire pâtisserie de Cholet, dans le Maine-et-Loire ! Le flan, c’était de l’eau : de la poudre à crème et de l’eau !

LTM : Malgré tout, la passion vous anime ?
CM : Complètement ! J’aimais tellement faire des gâteaux pour ma maman. Et surtout, je voulais faire partie des élites, devenir une légende ! Nous étions deux apprentis, le patron ne nous respectait pas. J’avais la niaque ! Je me suis pris des coups dans la vie et, très tôt, je me suis mis aux sports de combat. J’appliquais les mêmes codes dans le travail. J’ai passé le concours du Meilleur apprenti et j’ai gagné. À dix-huit ans à peine, je pars à Londres, au Hilton. Je dois avouer qu’il fallait être fort psychologiquement pour tenir. J’avais obtenu une aide de cinq cents francs de la région pour m’y rendre. C’était énorme pour ma mère et moi à l’époque ! À mon retour, je rejoins Le Negresco. Tous les ans, je harcelais Pierre Hermé, qui travaillait chez Fauchon [Paris]. J’ai finalement demandé à faire un stage : cela ne devait durer qu’un mois, mais j’ai tout fait pour qu’on me remarque, et ça a marché. Je disais à Arnaud Larher, qui était là à l’époque : “C’est nous, les prochains grands pâtissiers !”
LTM : Vous remportez le titre de Champion du monde en 2005. Qu’avez-vous ressenti et quels conseils donneriez-vous aux prochaines équipes françaises ?
CM : C’était le rêve de ma vie. Mais j’ai directement songé à l’après. Je me suis dit : “C’est super. Ça, c’est coché. Maintenant, tu fais quoi ?” Si je devais donner un conseil, ce serait celui d’être malin, de ne pas baisser la tête et, surtout, de respecter le règlement. À chaque fois que j’ai formé des gamins, ils ont tout gagné ! Je leur montrais le documentaire When we were kings, sur Mohamed Ali et son combat contre George Foreman, face auquel il n’a a priori aucune chance. Mais il va boxer totalement différemment, en déstabilisant son adversaire : c’est ce qu’il faut faire. Cette année, l’équipe de France était vraiment bien. Mais les Japonais avaient cette sérénité : une telle concentration se dégageait d’eux…