Quand on passe dans la petite rue à sens unique des Trois-Frères, à l’ombre du Sacré-Cœur (Paris 18e), une vitrine décorée à la main accroche l’œil. Pour comprendre qu’il s’agit d’une boulangerie, il faut venir vers 16h30 tous les jours, sauf les mardis et mercredis. Pas de numéro de téléphone, mais un compte Instagram avec quelque 1 000 abonnés et chaque jour la même photo ou presque, montrant des feuilles de papier disposées sur une table en bois sur lesquelles on peut lire blé de Touzelle, blé barbu ou engrain avec un prix au kg, et sur la ligne en dessous des noms plus familiers, comme foccacia, tarte aux légumes, tarte aux fruits, cookies (au levain et farine de sarrasin), scones… Aux antipodes d’une boutique « parisienne » qui jouerait la carte de la communication (réseaux sociaux, annonce presse) et du marketing (emballage, pancarte visible), Shinya Pain est un fournil de 18 m2 qui ouvre ses portes de 16 à 20 h pour une clientèle de quartier venant simplement acheter son pain, fabriqué et vendu par le boulanger. Les habitués choisissent un pain ou une pâtisserie du jour qu’ils ne retrouveront peut-être pas le lendemain ou la semaine suivante.
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Des pains faits à partir de variétés anciennes de blés
Remonter le temps
Shinya Inagaki ne cherche pas à casser les codes, mais à faire du pain comme il rêvait qu’on le faisait en France.
C’est au Japon qu’il a appris à faire du pain, des petites baguettes, du pain mou (tel qu’il est apprécié et consommé là-bas), au départ avec de la levure, des farines du Canada ou de Chine (chargées en gluten). Puis il est allé travailler dans une boulangerie bio, où il a découvert le levain (auquel était ajouté du jus de pomme et de carotte), avant de se rendre dans le pays-roi du pain. Sa première expérience de dix mois dans une éco-ferme de Normandie, où la miche cuite au four à bois a remplacé la baguette, sera celle qui le conduira sur les routes de France à la rencontre de producteurs de blé. Suivent huit années au Grenier à Pain, puis une belle opportunité rue du Nil (Paris 2e) au moment du lancement de La Jeune Rue. Le Japonais se fait remarquer à Paris pour ses croissants au levain et son offre sans baguette. Enfin, il passe neuf mois auprès de Roland Feuillas, ce qui le conduira à ouvrir sa propre boulangerie, qui va à contre-courant de toutes les stratégies marketing en vogue. Dans une société devenue majoritairement urbaine et tertiaire, dans un Paris coupé de la nature et de l’agriculture et qui s’inquiète du caractère « industriel » de certaines activités, la quête de naturel et de retour à la simplicité rime avec l’engouement pour le bio, le local et le terroir. Shinya Inagaki craignait de ne pas séduire les riverains. Il prouve au contraire que la rareté et l’attention portée aux saisons justifient la qualité et son prix.