Le modèle agricole conventionnel, hérité des années 1950, semble aujourd’hui dépassé, malgré les efforts entrepris par la filière pour adapter la production aux exigences de la société. Encore trop polluante et dépendante de l’industrie chimique, la production de blés tendres est aussi trop peu résiliente face au changement climatique et à ses manifestations extrêmes (gelées tardives, sécheresses, canicules, pression parasitaire...). Comment continuer à nourrir le monde dans ce contexte restrictif ? Deux démarches, très différentes et complémentaires sur le fond, semblent apporter une solution pour l’avenir.
Compétitivité et souveraineté
La première a été impulsée par BreedWheat, un vaste programme de recherches regroupant des instituts publics français (Inrae, Geves, Arvalis), un pôle de compétitivité (Végépolys) et de grandes entreprises de sélection. Ce projet sur dix ans (2010-2020) s’inscrit dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA) financé par l’État en vue de soutenir la compétitivité française et sa souveraineté. « Depuis les années 1990, les aléas climatiques liés au réchauffement font stagner la production de blés tendres en Europe du Nord alors que la demande ne cesse d’augmenter, explique Jacques Le Gouis, directeur de recherche à l’Inrae et coordinateur du projet. À cela s’ajoute une volonté politique et sociétale de sortir de la dépendance à la chimie. BreedWheat se situe dans une perspective d’amélioration variétale sur le blé tendre en vue de soutenir un modèle agroécologique viable pour l’avenir : productif (quintaux/hectare), qualitatif (taux de protéines) et économe (eau et intrants chimiques). Dès le départ, nous nous sommes focalisés sur la tolérance à la sécheresse, le maintien du rendement et de la qualité des protéines sous carence d’azote et la résistance aux maladies (fusariose, septoriose). Nous avons cherché à caractériser la biodiversité mondiale, actuelle ou passée, qui a été très peu exploitée dans les programmes de sélection. »
En quête de diversité
Parmi les 12 000 variétés de blés hébergées au Centre de ressources biologiques des céréales à paille, à l’Inrae de Clermont-Ferrand, les chercheurs ont retenu 4 600 cultivars d’intérêt, parmi lesquels on trouve des blés de pays, des variétés anciennes et des cultivars modernes issus d’une centaine de pays. Ensuite, après une première campagne d’essais en champ, un panel de 450 variétés jugées prometteuses a fait l’objet d’une étude approfondie en parcelles maintenues dans 15 environnements pédoclimatiques* différents (dont certains générant une situation de stress). « Les recherches ont d’abord consisté à produire des connaissances sur la physiologie et la génétique du blé et à élaborer des outils d’aide à la sélection, en lien avec les données acquises par le séquençage du génome, précise Jacques Le Gouis. Nous avons aussi sélectionné 9 lignées complémentaires aux variétés élites (parents utilisés par les obtenteurs). Ce matériel génétique diversifié est d’ores et déjà exploité dans les programmes d’amélioration des compagnies semencières afin d’augmenter la diversité cultivée. »
Sélection décentralisée
La seconde approche, très différente en termes de stratégies, de moyens, d’échelles et de débouchés, offre une alternative pas moins intéressante pour l’avenir économique et social des territoires. Portées depuis 2006 par le laboratoire Génétique Quantitative et Évolution et la ferme expérimentale du Moulon à Gif-sur-Yvette (université Paris-Saclay, Inrae, CNRS et AgroParisTech), les recherches visent à soutenir l’économie paysanne, les circuits courts et le modèle des paysans-boulangers. De nombreux agriculteurs membres du Réseau Semences Paysannes sont impliqués dans ce vaste projet participatif qui vise à sélectionner des variétés de pays adaptées à une agriculture biologique et moins sensible aux variations climatiques. « Dans une culture sans intrants chimiques, les interactions du génotype (variété) avec l’environnement (terroir) se font davantage sentir, explique Isabelle Goldringer, directrice de recherche à l’Inrae. L’évaluation et la sélection ne peuvent être que décentralisées et prises en charge par les agriculteurs qui connaissent leur terre, leur climat et leurs contraintes locales. Les blés de pays de demain seront nécessairement d’une extrême diversité et d’une très grande résilience. » Dans les deux approches, les nouvelles variétés de blés obtenues devraient faciliter la transition écologique de l’agriculture suivant deux logiques complémentaires : circuit long (agro-industriel) et circuit court (paysan).
Le retour des variétés de pays
Avant l’avènement de l’agro-industrie, l’agriculture française reposait sur une grande diversité biologique, aussi bien au niveau des races animales d’élevage que des variétés végétales de culture. La montée des circuits courts, de l’agriculture biologique/paysanne et des petites exploitations devrait logiquement faire revenir les variétés de pays. Il s’agit le plus souvent de mélanges hétérogènes de génotypes (patrimoines héréditaires), sélectionnés par les agriculteurs selon différents critères (taille des grains, hauteur des tiges, résistance aux maladies.…) et multipliés en pollinisation libre. Les semences paysannes offrent le gros avantage de pouvoir être ressemées et cultivées sans intrants chimiques et ainsi de libérer l’agriculteur de l’industrie (semencière, chimique, alimentaire). Ces semences « libres » ne peuvent être commercialisées entre professionnels car elles ne peuvent être inscrites au Catalogue officiel (elles ne répondent pas aux critères DHS : « distinction, homogénéité, stabilité »). Elles peuvent toutefois être diffusées librement et cultivées à des fins alimentaires.
* Relatif au pédoclimat : ensemble des conditions de climat auquel est soumis un sol, avec les proportions d’oxygène.