« Les métiers de bouche n’arrivent plus à recruter et on expulse des jeunes formés et motivés pour travailler en France : la situation est complètement ubuesque ! », dénonce le boulanger Stéphane Ravacley, l’un des premiers artisans fortement médiatisés pour sa mobilisation en faveur de son apprenti guinéen, Laye Fodé Traoré (lire aussi).
Arrivé à 16 ans en France, ce dernier est pris en charge comme mineur isolé par l’Aide sociale à l’enfance et intègre la boulangerie de Stéphane Ravacley à Besançon (Doubs) l’année suivante. Fin 2020, à sa majorité, il fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), « alors qu’il s’est parfaitement intégré », indique son patron, bien décidé à ne pas le laisser partir sans se bouger. Une juge lui conseille de lancer une pétition ; ce qu’il fait alors qu’il n’en a lui-même jamais signé.
Le 3 janvier 2021, ce gaillard de 120 kg décide d’entamer une grève de la faim, sans arrêter pour autant de travailler. Son engagement fait la une de la presse locale, puis nationale. « Au-delà de 350 contacts de journalistes, on a arrêté de compter », sourit le boulanger.
« Ces jeunes sont une chance pour nous », Frédéric Peuillon, boulanger
Le 14 janvier, Laye et lui sont convoqués à la préfecture et reçoivent la promesse d’une régularisation. Fin de la grève de la faim pour Stéphane Ravacley, mais pas de son engagement. « En parallèle, j’ai reçu quantité d’appels de patrons dans la même situation et totalement démunis face à l’administration », indique l’artisan, qui décide de créer une association dédiée – Patrons solidaires – avec l’une de ses consœurs, Patricia Hyvernat, paysanne-boulangère dans l’Ain. Confrontée « au mutisme de l’administration » à la suite de la menace d’expulsion de son stagiaire guinéen, Mamadou Yaya Bah, celle-ci entame également une grève de la faim en février 2021. Là encore, la mobilisation fonctionne, régularisation à la clé.
Des antennes de Patrons solidaires dans toute la France
À haut potentiel, Yaya a depuis décroché son CAP et intégré l’Académie des futurs leaders à Paris, pour « militer en faveur de l’égalité et du droit des jeunes migrants », relève le jeune homme de 22 ans. Car le combat continue pour les binômes artisan-migrant. La preuve avec l’un des derniers dossiers suivi par l’association Patrons solidaires, qui dispose désormais d’antennes dans toute la France. À Bourg-en-Bresse (Ain), Frédéric Peuillon de la boulangerie Lou Pan est monté au créneau pour garder son apprenti guinéen, Mory Mara, embauché en 2019 et sous le coup d’une OQTF. « Au départ, nous l’avons aidé à se perfectionner en français », se souvient l’artisan, épaté par la motivation du jeune homme. « Ils n’ont pas d’autres choix que d’être très bons, car ils savent que c’est par le travail qu’ils s’en sortiront. Ces jeunes sont une chance pour nous », poursuit Frédéric Peuillon.
Une pétition, des soutiens et une large couverture médiatique (dont un reportage de Brut) plus tard, Mory a décroché un récépissé l’autorisant à travailler, le 7 mars dernier.
Contact : www.patrons-solidaires.org.