Élaborée par la filière Culture Raisonnée Contrôlée (CRC) à la suite d'une consultation approfondie impliquant plus d’une centaine de responsables et de dirigeants, cette feuille de route trace le chemin vers une agriculture et une alimentation durables à l’horizon 2030.
La Toque magazine : Comment analysez-vous la crise agricole actuelle ?
Marc Bonnet : Que ce soit du côté des agriculteurs, de la grande distribution ou des groupes écologistes, les attentes sont légitimes. Mais le dialogue est complexe et tendu, sachant que l’équilibre entre écologie et rentabilité économique reste un défi constant. Les agriculteurs ne sont pas contre une évolution de leurs pratiques vers plus d’écologie mais c’est une mutation qui demande du temps, de l’analyse, des évaluations approfondies… Or, les politiques et les groupes écologistes veulent des résultats sur une échelle de temps court — en lien avec celui du pouvoir politique et des mandats électoraux — qui n’est pas compatible avec le temps agricole, qu’il s’agisse des évolutions des mentalités ou des transformations des exploitations. Il ne faut pas perdre de vue que l’agriculture céréalière et la boulangerie artisanale sont deux pépites pour la France, domaines dans lesquels nous excellons. Altérer ce patrimoine et cette vitalité économique par des pressions politiques ou écologiques n’est pas responsable. Chaque exploitation qui meurt est une tragédie pour la France ! La filière nucléaire avait été ainsi bradée par des pressions idéologiques du même genre. Pour quel résultat ? Aujourd’hui, nous sommes obligés de reconstruire. Ne faisons pas la même erreur avec notre modèle agroalimentaire qui est un modèle d'excellence !

LTM : Quelle est la force du modèle Culture Raisonnée Contrôlée ?
MB : La force de la filière CRC est qu’il s'agit d'une véritable filière, qui part du grain de blé cultivé au champ allant jusqu’au pain vendu en boulangerie. Nous sommes donc présents sur l’ensemble de la chaîne de valeur et nous permettons à chaque acteur de faire valoir ses besoins. Ainsi l’agriculteur parvient-il à entendre les attentes du meunier et du boulanger, et inversement. Le dialogue est essentiel pour réussir la transition agricole. La transition vers des pratiques environnementales plus respectueuses doit être guidée par les besoins réels du marché plutôt que par des agendas médiatiques et politiques. La force de notre modèle tient aussi au fait que nous nous sommes inscrits dès le démarrage — en 1989 — dans une politique de progrès, sur une échelle de temps long. Nos cahiers des charges ont ainsi toujours évolué avec les agriculteurs, qui trouvent justement dans ces contrats un moyen de sécuriser leur rémunération — prime à la tonne, débouchés garantis —, tout en progressant sur les plans écologique et sanitaire. Nos 185 exigences sont bien acceptées et intégrées aujourd’hui par les agriculteurs. Le modèle CRC, qui représente 10 % des farines panifiables françaises est non seulement viable économiquement mais il est aussi reconnu comme favorable à la biodiversité par les pouvoirs publics.

LTM : Comment voulez-vous avancer pour l’avenir ?
MB : Nous avons défini plusieurs pistes : la gestion des ressources en eau en quantité et en qualité, la gestion de l’impact carbone en matière d'émissions et de stockage, et la communication B to B et B to C. Bien que réputée dans l’univers professionnel, la marque n’est pas assez connue par le grand public. Nous devons donc renforcer notre communication B to C. Toutefois, une surabondance de marques durables peut induire une confusion chez les consommateurs, ce qui risque d'entraver la transition écologique. Il faut privilégier plutôt l’information et la formation des boulangers, qui sont les premiers ambassadeurs de la qualité des farines auprès des consommateurs. Traça-Blé est à cet effet un outil de traçabilité intéressant, susceptible de permettre aux clients des boulangeries de remonter la filière. Autre sujet sur la table : les émissions de gaz à effet de serre [GES]. Nous souhaitons réfléchir et agir collectivement, car ce qui compte en matière de décarbonation c’est de considérer l’ensemble de l’activité. Concernant la fertilisation azotée, qui est la principale source émettrice de GES pour les céréales, il faut aussi réfléchir transversalement. L’azote des engrais permet d’enrichir le grain de blé en protéines. Si demain, le boulanger parvient à travailler avec des farines moins riches en protéines, comme il le fait déjà avec les variétés paysannes ou anciennes, alors l’agriculteur pourra envisager de travailler avec des doses d’azote moindres et des variétés moins gourmandes. Mais tout cela prend du temps et exige un dialogue continu entre tous les acteurs.