Confrontés à un manque cruel de personnel dans leur boulangerie de Barneville-Carteret (Manche), Frédéric et Ericka Clérot ont eu l’idée de proposer des CDI de 39 heures par semaine à 2 000 € net/mois avec trois jours de repos par semaine (dont vendredi, samedi et dimanche une fois par mois). Objectif : attirer les candidatures de boulangers et de pâtissiers, et fidéliser les salariés déjà en place.
« Les générations actuelles aspirent à une vie moins laborieuse et plus équilibrée sur les plans social ou familial. La proposition de travailler dix heures par jour sur quatre jours — au lieu de huit heures sur cinq jours — a effectivement séduit certains jeunes en recherche d’emploi. Notre personnel était aussi très motivé, raconte Frédéric Clérot. Rester sur des journées de huit heures avec le même salaire était par contre totalement utopiste au vu de la rentabilité et de la taille de notre entreprise. Les dix heures par jour étaient donc impératives pour maintenir la même productivité. Mais cette surcharge journalière pose en fin de compte un vrai problème car elle fragilise les nouvelles recrues, moins expérimentées et moins engagées. Les abandons de poste ou les arrêts de travail finissent assez vite par tomber.La proposition séduit sur le papier mais elle n’est pas viable dans le temps », estime Frédéric.
Une clientèle de week-ends, jours fériés et vacances scolaires
Il faut dire aussi que Barneville-Carteret est un petit port du littoral normand qui vit au rythme des familles possédant ici une maison secondaire et venant se mettre au vert à la moindre occasion. Les week-ends, jours fériés et vacances scolaires apportent un flux toujours plus important de clients, sans parler de la saison estivale et son flot considérable de touristes. En conséquence, la boulangerie reste ouverte du jeudi au lundi et ferme les mardis et mercredis.
« Nous avons des week-ends exceptionnels en termes de chiffre d’affaires. Pour maintenir la production en période de forte activité, j’ai besoin à peu près de trente heures par jour de travail effectif, soit trois bons boulangers ou pâtissiers, détaille le patron. Lorsque l’un des trois démissionne, les deux restants doivent assumer chacun une surcharge de cinq heures en dix heures de temps, ce qui est ingérable. Les heures supplémentaires me coûtent cher et l’équipe réduite finit par craquer. Quand on n’a pas la chance d’avoir des intérimaires ou des saisonniers sous la main, les aléas sont bien plus difficiles à pallier. Sur cinq jours, c’est déjà compliqué ; mais sur quatre jours, c’est totalement impossible », assène-t-il.
Dans les très petites entreprises dont l’activitéconnaît des variations importantes, la semaine de quatre jours à dix heures par jour semble ne pas tenir ses promesses. Pour Frédéric Clérot, cela peut être en revanche une piste intéressante à creuser dans les plus grosses boulangeries, moins sujettes aux fluctuations en matière de clientèle.

Inversion des rythmes
Côté vente, la semaine de quatre jours à 10 h/jour n’intéresse tout simplement pas, car les journées à rallonge bousculent trop la vie familiale (les contrats à 32 heures payées 35 heures avec deux jours de repos sont, par contre, appréciés). De manière générale, la grande difficulté pour la boulangerie-pâtisserie c’est que le personnel travaille quand les gens sont au repos, et c’est encore plus prégnant en zones touristiques.
« Le besoin de prendre l’air ou de se mettre au vert est plus important aujourd’hui qu’avant, en particulier pour les Parisiens qui sont nombreux à Carteret. Toutes les occasions sont bonnes pour se ressourcer à la mer et certains allongent leur séjour avec le télétravail. De notre côté, plus la population s’accroît, plus nous avons de travail. Cette inversion des rythmes est problématique car les envies de loisirs ou de repos sont les mêmes pour tous. Activités sportives, sorties en famille, soirées entre amis… nous avons tous besoin de prendre du bon temps. Lorsque quatre-vingt-dix pour cent des gens sont en congé autour de toi, la motivation au travail s’en ressent nettement, en particulier quand on débute dans le métier. Nous devons intégrer cette nouvelle manière de vivre le travail, ce qui est loin d’être simple. Mécanisation, surgélation, travail en séries, décloisonnement des tâches entre vente et production, intégration de main-d’œuvre non qualifiée, sont certainement des pistes, mais elles ont aussi leurs limites », estime Frédéric. La réflexion est ouverte !