Lors de la dernière convention de Association nationale de la meunerie française (ANMF) qui s’est tenue à Blois le 28 juin 2024, les défis sectoriels ont été largement détaillés. L’évènement a été l’occasion aussi de présenter le rapport annuel et la fiche statistique (pour 2023), deux publications majeures permettant de se faire une idée plus précise des difficultés et des enjeux des minoteries françaises (qui sont, pour 78 % d’entre elles, de très petites entreprises écrasant moins de 5 000 tonnes par an).
L’excellence a un prix
« Bien que faisant partie intégrante de notre culture, les entreprises de la meunerie sont tournées vers l’avenir, a rappelé à cette occasion Jean-François Loiseau, président de l’ANMF. Un avenir résolument engagé dans la transition durable, la qualité et la saveur des produits. Pour réussir, nous devons relever plusieurs défis : celui de l’attractivité de nos métiers et du recrutement des talents et celui de la modernisation de nos outils en vue de rester compétitifs et de décarboner notre activité. Pour ce faire, nos entreprises doivent retrouver de la rentabilité. Année après année, les marges nettes des entreprises de la meunerie se contractent. La qualité et l’excellence ont de la valeur, faisons-le savoir ! » résume-t-il enfin.
Un savoir-faire reconnu
La meunerie française a en effet, depuis quelques années déjà, de gros dossiers sur la table. Le premier d’entre eux (et le plus urgent) est celui de la qualité des farines, qui inclut désormais la notion de durabilité. Avec l’avènement des filières certifiées de plus faible impact écologique (donc moins gourmandes en produits phytosanitaires) et la survenue de plus en plus fréquente d’aléas météorologiques extrêmes fragilisant la santé et la productivité des blés, le défi de la qualité technologique ou sanitaire — et même organoleptique et nutritionnelle — revient au premier plan et mobilise toute l’attention du meunier ainsi que celle de la filière en amont.
Sur la maîtrise technique des cultures et des procédés, la meunerie française conserve néanmoins une longueur d’avance (ce qui est reconnu en Europe et dans le monde) et n’a pas trop de soucis à se faire pour l’avenir à court ou moyen termes. D’autant que les nouvelles réglementations et les attentes des marchés viennent régulièrement pousser la qualité des farines françaises à des niveaux toujours plus élevés.
Performance globale
Le second dossier d’importance est celui de la modernisation de l’outil industriel (informatisation, automatisation, normalisation, etc.) pour toujours plus de qualité, de sécurité alimentaire et de productivité ; avec deux enjeux de fond : celui de la décarbonation de l’activité (réduction des émissions de carbone) et celui de la qualité de vie au travail (réduction de la pénibilité). Ces transitions s’avèrent nécessaires pour améliorer la performance globale des entreprises, même si l’ANMF rappelle que la meunerie reste faiblement émettrice de carbone (0,49 g eq CO2/g de farine) et demeure une bonne élève en matière de responsabilité sociale et environnementale.
Une progression en trompe-l’œil
Pour rester dans la course, il y a donc des investissements lourds à engager. Et c’est là qu’il y a un hic… Même si les entreprises françaises de meunerie ont enregistré une augmentation importante de leur chiffre d’affaires en 2022 et 2023 (liée à une inflation du prix de vente de la farine), elles n’ont pas réussi à dégager de bénéfices, passant pour l’ensemble de 1,71 million d’euros (M€) en 2021 à 2,15 M€ en 2022 et 2,21 M€ en 2023. La progression des recettes n’est en effet pas liée aux volumes des ventes mais au prix de la farine. Cette inflation, devenue nécessaire du fait de la hausse très forte des charges d’exploitation, n’a toutefois pas permis de tout absorber. Ce sont surtout les achats de blé qui ont grevé les comptes de résultats, avec une croissance du poste des achats de matières premières de 40 % entre 2021 et 2022. Résultat : l’indicateur de marge brute — qui évalue la rentabilité de la production — s’est nettement dégradé en 2021 et 2022 (les chiffres ne sont pas disponibles pour 2023).
2022 dans le rouge
Alors que cette érosion de la marge brute reste profondément conjoncturelle (l’indicateur se dégrade à la suite de la guerre en Ukraine), il semble qu’il y ait un autre souci, moins visible mais peut-être plus problématique : « Année après année, l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires [OFPM] met en avant la réduction de la marge nette des entreprises de la meunerie. C’est un sursaut collectif que nous devons avoir », alerte Jean-François Loiseau, président de l’ANMF. Ainsi le taux de marge nette (qui évalue la rentabilité des entreprises) est passé de + 2,4 % en 2016 à + 0,4 % en 2021 et a même chuté à - 1,3 % en 2022. « C’est la première année où l’on observe un résultat courant avant impôt négatif », souligne le dernier rapport (2024) de l’OFPM des produits alimentaires.
Il semble que la flambée des cours du blé à la suite de la guerre en Ukraine est venue masquer l’inflation systémique enregistrée sur le blé tendre depuis cinq ou six ans… Sur l’ensemble des charges, le poste des achats de matières premières est, de cette manière, passé de 59 % (moyenne stable sur 2016, 2017 et 2018) à près de 69 % en 2022, avec une hausse progressive à partir de 2019-2020. Dans le même temps, le poste de la dotation aux investissements a été rogné en proportion. En d’autres termes, la quête d’excellence sur la qualité et la durabilité des farines pénalise la capacité des entreprises à s’engager dans les transitions qui s’imposent à elles. Qui doit payer la facture ?