Plus résistantes et moins gourmandes. Telles pourraient être décrites les variétés adaptées à une agriculture écologique que nous appelons aujourd’hui agroécologie. Cette forme d’agriculture vise à utiliser des mécanismes de régulation naturelle de la fertilité, des mauvaises herbes, des ravageurs et des maladies. Dans les systèmes agroécologiques, les agriculteurs souhaitent par exemple favoriser les symbioses du blé avec les champignons du sol pour susciter des mycorhizes, qui favorisent l’exploration des nutriments et de l’eau dans le sol. Contrairement à l’agriculture biologique, l’agroécologie n’exclut pas obligatoirement d’avoir recours à certaines applications issues de la chimie de synthèse. Certaines filières en agroécologie se réservent par exemple la possibilité de traiter les semences et d’effectuer un désherbage avant les semis tout en s’interdisant des traitements ultérieurs.
Le catalogue officiel des semences s’est déjà ouvert aux variétés adaptées pour l’agriculture biologique. Le CTPS suggère de mener un travail spécifiquement tourné vers l’agroécologie. A. Dufumier
Variétés déjà résistantes
Des variétés de blé résistantes aux maladies et ravageurs existent déjà. Aujourd’hui, les agriculteurs choisissent d’ailleurs leurs variétés de blé selon des critères de résistance à différents types de problématiques outre les aptitudes de production, de rendement et de qualité. L’Union française des semenciers (UFS) constate ainsi que le choix de variétés résistantes concerne près du quart (23 %) des certificats d’économie de produits phytosanitaires (CEPP) attribués dans le cadre de la politique française de réduction des produits phytosanitaires (Ecophyto II+). C’est le deuxième levier de réduction, après la mise en œuvre de nouvelles pratiques de culture.
Plus grande efficacité des engrais
Concernant la réduction des besoins en engrais, le potentiel variétal apparaît là encore très important. L’Institut du végétal Arvalis caractérise déjà les variétés en fonction de leur efficacité de valorisation de l’azote. De nombreux agriculteurs bio constatent par ailleurs que certaines variétés sont capables de produire des rendements étonnement élevés comparativement aux fournitures disponibles dans les sols. Le fait de pouvoir sélectionner des variétés de blé plus efficientes vis-à-vis de l’azote représente donc un espoir majeur à plus d’un titre dans le contexte actuel de flambée des coûts des matières premières. Les engrais azotés nécessitent d’importantes quantités de gaz pour leur fabrication. Toute économie en la matière représente donc des réductions potentielles de consommation d’énergie fossile importée. Par ailleurs la faible efficacité d’absorption de l’azote par les cultures entraîne des pertes de nitrates dans l’eau ou le dégagement de composés azotés à fort effet de serre dans l’atmosphère.
Certaines variétés sont capables d’éloigner les « mauvaises herbes » en dégageant des substances biochimiques. Cependant ce n’est pas encore un critère de sélection pris en considération. C. Michel
Recruter des micro-organismes
La recherche variétale apporte déjà de nombreuses réponses aux défis agroécologiques actuels. Cependant une limite est relevée dans un rapport du comité scientifique du Comité technique permanent de la sélection(1) (CTPS) publié en juin dernier sur le site du ministère de l’Agriculture. La sélection variétale classique opère en effet dans des conditions relativement contrôlées et considère tout mécanisme extérieur comme un biais expérimental. Ainsi, les effets des interactions complexes avec le vivant (vers de terre, champignons (mycorhizes) et bactéries qui pullulent sur les feuilles et les racines) sont gommés par différents dispositifs (usage de produits phytosanitaires, usage de microparcelles avec plans statistiques en carré latin). Or l’aptitude d’une variété à créer des solidarités avec le système vivant de l’air et du sol a potentiellement un rôle majeur pour réduire les intrants de synthèse. Des travaux visant à mesurer les effets positifs possibles, notamment du microbiote (« les bons microbes ») du sol et des feuilles sur la production agricole sont en cours, notamment à travers les projets de recherche Deep-impact(2) et Sucseed(3) mis en place dans le cadre du programme prioritaire de recherche Cultiver et protéger autrement (dont l’INRAE est chargé du pilotage scientifique).
« Les cultures doivent être sélectionnées dans les conditions de l’agroécologie. »
Adapter les modes opératoires
Pour trouver ces variétés capables entre autres de susciter des symbioses, « les cultures doivent être sélectionnées dans les conditions de l’agroécologie », souligne le rapport du CTPS. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Implicitement, le rapport suggère ainsi de trouver d’autres modes de sélection que ceux basés sur le principe de conditions contrôlées sur de petites parcelles. Ces systèmes semblent en effet peu opérants pour sélectionner par exemple des capacités des plantes à communiquer entre elles pour activer leurs circuits de défense en cas d’attaques de ravageurs. Ils permettent mal de sélectionner sur le critère de production de composés organiques volatils capables d’éloigner les insectes. Il en est de même pour les mécanismes de régulation des adventices (mauvaises herbes), par libération de substances biochimiques (allélopathie) ou concernant la capacité des variétés à former des mycorhizes, ou à stocker du carbone dans les sols. Le rapport du CTPS ouvre donc aujourd’hui un vaste chantier bousculant les repères traditionnels. Il anticipe notamment que la recherche se fera par exemple par des modes de sélection participatifs autour d’une innovation plus ouverte. La France a de nombreux atouts pour relever ce défi, avec un secteur des semences leader des exportations mondiales depuis de nombreuses années.
(1) Le CTPS a en charge la gestion du catalogue officiel des espèces et variétés.
(2) Deep-impact : « Deciphering plant-microbiome interactions to enhance crop defenses to pests ».
(3) Sucseed : « Stop the use of pesticides on seed ».