Souriante, Redda Besseghaier accueille des clients étrangers chez Léonard Parli, rue Gaston-de-Saporta à Aix-en-Provence. La responsable de la boutique, ouverte en 2019, leur explique la composition du calisson, la friandise traditionnelle aixoise : des amandes fraîchement émondées et broyées avec du melon confit peu sucré. La pâte souple et tendre conserve de la texture et par-dessus est posée la glace blanche en couverture. Cette calissonnière expérimentée raconte aussi à sa clientèle la légende du confiseur du roi René, qui a imaginé cette douceur royale en 1454, à l’occasion du mariage des souverains. La reine Jeanne en a demandé le nom, « Di calin soun » (« Ce sont des câlins »), lui a-t-on répondu en provençal. Redda Besseghaier s’exprime en français, mais aussi en anglais, arabe et espagnol. Pouvoir parler plusieurs langues a été déterminant dans l’évolution de sa carrière professionnelle. Née en 1952 dans un village près d’Oran (Algérie), elle arrive en Provence à l’âge de 8 ans pour rejoindre son père, qui y travaille. Redda, qui a appris le français à l’école, est accompagnée par sa mère et ses deux jeunes sœurs. « Nous avons habité au Tholonet, en pleine campagne. Maman élevait des poules, des lapins, et faisait son potager. Elle était bonne cuisinière », raconte-t-elle avec tendresse. Aînée de sept frères et sœurs, Redda aide à la maison tout en continuant sa scolarité. Ses parents comptent sur elle.
Un job d’été
Un beau jour de juillet 1970, cette grande sœur accompagne sa cadette chez un médecin, avenue Victor-Hugo. Pour la récompenser d’avoir été sage, Redda veut lui offrir une sucette. Le cabinet médical se trouve face au magasin historique Léonard Parli. Sur la façade en pierre, le fronton sculpté représente un écusson portant la croix suisse encadrée de deux rameaux de chêne et d’olivier de Provence. La patronne, Adèle Parli-Maucort, sert la petite, puis indique à l’aînée qu’elle embauche. La jeune fille, travailleuse, curieuse et motivée, accepte le job d’été : « J’ai reçu ma lettre et, le mardi à 8h, j’ai tout de suite été sur les calissons avec madame Paoli, la plus ancienne de l’atelier. Puis j’ai trouvé ma façon à moi de travailler : toujours proprement. » Des semaines entières, Redda façonne des calissons sur une machine manuelle, dont le prospectus de l’époque indique « une production rapide et soignée pour des friandises de qualité ». Les calissonniers l’ont utilisée jusqu’en 1976, et Redda s’en sert toujours pour les démonstrations. Quand sa mère tombe malade puis décède, l’adolescente prend en charge la maisonnée et sa fratrie. Mais décidée à gagner son indépendance, et encouragée par son professeur d’anglais, elle passe un bac littéraire et s’inscrit à la faculté de droit. Finalement, la fabrique Parli la rappelle et l’embauche à temps plein. « Dans l’atelier, il y avait cinq machines qui fonctionnaient toute l’année, et dix à Noël. Avec la semi-automatique, nous avons produit jusqu’à une tonne de calissons par jour », se souvient Redda Besseghaier qui se plaît à l’atelier de l’avenue Victor-Hugo. Elle aime goûter la pâte de calisson préparée par ses collègues, avant de l’appliquer dans les moules et de la couvrir de glace. La calissonnerie devient son univers.
Machine portative pour les voyages
Après son mariage en 1977, la jeune femme donne naissance à un garçon, puis à une fille. Mais son autonomie et le travail en équipe lui tiennent à cœur : « À deux sur la machine, avec Marie-Claude, Nathalie, et Stéphanie, entre femmes, on s’amusait beaucoup. » Au décès d’Adèle Parli-Maucort en 1978, son fils René prend la suite, puis son épouse Renée Maucort au début des années 1990. Celle-ci a l’ambition d’exporter les calissons aixois. Sachant que Redda a des capacités en anglais, elle lui propose de représenter la maison Léonard Parli lors d’un voyage aux États-Unis organisé par le Comité régional du tourisme Provence-Alpes-Côte d’Azur. La calissonnière aixoise s’envole pour Atlanta, prenant l’avion pour la première fois. Elle fait d’autres démonstrations de façonnage des calissons sur sa machine portative : « Nous avions un succès fou. Les gens, très étonnés, regardaient puis se pressaient pour goûter. » Redda va trois fois à New York, se rend à Chicago, elle participe aussi à des salons à Cologne (Allemagne) et à Dubaï (Émirats arabes unis). Elle rentre chez elle fière, mais fourbue par ces séjours intenses. En 2012, la calissonnière quitte l’atelier de façonnage et passe à la vente, dans la boutique de l’avenue Victor-Hugo. « Ce nouveau virage a été très dur au début, confie-t-elle. Le contact avec le produit me manquait, je ne voyais plus naître les calissons. » Ensuite, elle s’occupe du suivi des commandes des boulangeries, pâtisseries et épiceries qui se fournissent chez Léonard Parli. Installée depuis deux ans dans la nouvelle boutique du centre-ville, Redda s’y plaît beaucoup. Et quand elle entend une cliente la remercier pour son accueil, « cela vaut tous les compliments du monde ».