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rencontre « L’avenir, c’est un retour à la qualité, au bon pain d’antan »

Jean-Marie Ximena est fondateur et codirigeant de Moulin Astreïa.

Pour vous, ce sera quoi, la boulangerie de demain ?

« Vraie boulangerie » (artisanale) ne veut pas dire grand-chose : elle fait du pain, et pour que le pain soit reconnu, il faut qu’il soit bon. Quand on regarde l’évolution de la boulangerie sur ces quinze à vingt dernières années, on voit une baisse de qualité qui va être compensée progressivement par la multiplication des pains spéciaux, autant en boulangerie artisanale que chez les franchisés. Cela ne signifie pas que ce n’est pas bon, mais c’est une forme de fuite en avant, comme pour le snacking : on va faire un très bon pain pour le sandwich, mais quid de la provenance du fromage, du jambon, des légumes ? Avec tous les produits annexes (pâtisserie, entremets), on ne parle pas que de pain. Cette évolution a fait du « pain aliment » un « pain support », voire un souvenir un peu culturel. Le pain est quand même le seul produit pour lequel on est encore prêt à aller dans une boutique dédiée pour l’acheter, donc en dehors de l’endroit où on va faire toutes nos courses ! Pour moi, la boulangerie de demain, c’est un retour à la qualité, au bon pain d’antan. C’est un pain qui va se conserver (une semaine), qui est digeste et qui donne à voir la qualité des matières premières qu’on utilise (farine de blé ou de céréales). Je vous parle en tant que paysan-boulanger et constructeur de moulin. C’est aussi un pain qui peut se décliner car c’est important d’être créatif quand on est boulanger. Et je pense qu’il faudrait proposer une offre de pâtisserie boulangère autour des financiers, des madeleines, des cookies, toujours en privilégiant la qualité, la gourmandise, et des choses saines et nourrissantes. Il y a déjà de nombreux artisans qui sont sur ce créneau-là en France et la nouvelle génération a cette réflexion sur la notion de qualité. Le futur c’est un retour aux fondamentaux de la boulangerie, très orienté sur la qualité qui permet de proposer un pain que tout le monde puisse manger.

Quelles attentes des clients avez-vous remarqué ?

Les gens sont en attente de transparence et d’authenticité. À titre d’exemple : avant de me lancer, j’ai fait une étude de marché et à la question « À quoi associez-vous un pain de qualité ? », 100 % des réponses étaient positives pour un pain cuit au feu de bois. Quelle est la différence quand on goûte à l’aveugle deux pains, à farine et panification égales, cuits au four électrique ou au feu de bois : aucune, simplement l’un donne à voir une authenticité, du vrai, du bien, voire du beau. Quand quelqu’un va façonner ou pétrir, étirer la pâte manuellement devant les clients, quand on donne à voir le travail des mains, les gens vont automatiquement y associer une notion de qualité, une différenciation. Les cuisiniers l’ont bien compris en remplaçant les murs par des vitres transparentes et en optant pour la cuisine ouverte. Montrer, c’est encore la meilleure façon de communiquer sur notre métier, sur ce qu’on le fait.

En quoi le modèle du moulin Astrié répond à ces demandes nouvelles concernant le blé, la farine et le pain ?

Ma démarche, quand je me suis lancé, reposait sur une réflexion concernant la qualité : obtenir la meilleure qualité de farine et me rapprocher d’une notion de terroir. Ma farine reflète l’intégralité de mon grain de blé : ce n’est pas un assemblage de différentes couches de l’amande du grain de blé réalisé pour correspondre à un taux de carbone donné. Et évidemment, le goût et la digestibilité reposent aussi sur la qualité du blé choisi au départ. Je pense que l’attente de qualité des consommateurs repose sur du bon et du nourrissant, et l’avantage supplémentaire du moulin Astrié dans sa boutique, c’est évidemment l’animation : nous pouvons faire des moulins transparents à travers lesquels on voit les meules tourner et la farine tomber. Quand on entre dans une boulangerie où l’on voit le blé d’un côté et la farine tomber de l’autre, on sait que c’est fait maison. Le métier de minotier, c’est un peu comme celui de vigneron, il connaît les blés et va faire un assemblage pour son boulanger en fonction des caractéristiques aromatiques et boulangères des variétés. Avoir un moulin dans sa boutique est aussi une manière de s’intéresser au métier de meuniers, tout comme les clients s’intéressent de plus en plus à l’origine des choses qu’ils mangent. Et quand on parle de moulin, on parle de blé, et donc on va parler de sols, de pratiques culturales. Pour moi, cette prise de conscience est une lame de fond. Moi-même, je sème et je fais mon pain, et quand je vais vendre sur le marché à Pézenas, je le vois : les clients veulent savoir et adorent avoir foule de détails concernant ce qu’il y a dans leur pain. Cela crée un nouveau lien, et nous ne sommes plus du tout dans un achat impulsif ou mécanique d’aller « prendre du pain ».

Vous parlez de 80 % de taux d’extraction avec le moulin Astrié, ne serait-il pas plus juste de qualifier les farines ainsi plutôt que par T80 ou T110, qui sont plus obscures pour le consommateur ? Et pourquoi ?

La mouture Astrié a pour particularité qu’elle n’écrase pas mais déroule le grain de blé, en une fois, sans repasse. Nous parlons de 80 % de taux d’extraction (on considère que l’amande du grain blé, c’est 80 % du grain de blé ; le germe, c’est 2 à 3 %, les 17 % restants l’enveloppe) : quand nous faisons des comparaisons, à blé égal, de mouture sur moulin type Astrié et de mouture à cylindre, à taux de cendre égale, on arrive à de très beaux développements sans avoir besoin de corriger les farines (pas de rajout de gluten ou d’amylases). L’avantage de la mouture sur meule de pierre, c’est de provoquer une très forte activité enzymatique, et cela a une influence sur la panification. Quand on parle de taux d’extraction, il faut comprendre que certains moulins à meule de pierre divisent la bluterie : la première partie sera un équivalent de T65 contenant le germe (assise protéique du grain de blé), autrement dit la partie la plus nutritive du grain de blé ; la deuxième un équivalent de T80 ; et à la fin, un équivalent de T110. Le taux de cendre, ou taux de carbone, correspond à l’enveloppe externe (le son), donc ici, la T80 ou la T110 sera pure, mais ne contiendra pas les protéines et tous les acides aminés qui sont présents dans le germe du grain blé, qui seront dans la première partie. Donc, au niveau du taux, vous êtes bon, mais la nutritivité de la farine n’est pas la même.

Je n’ai pas de réponse concernant la dénomination, c’est presque une réflexion de label. Le taux d’extraction n’est pas plus simple à comprendre que le taux de cendres s’il n’y a pas l’explication avec. Le taux d’extraction est à la fois le reflet d’un mode de tamisage et d’une façon d’écraser la graine. Mais il faut prendre en compte le taux d’extraction en un seul passage, caractéristique des moulins de type Astrié. On peut avoir un taux d’extraction à 80 % mais après deux ou trois repasses : donc plus d’oxydation, plus d’échauffement et un grain écrasé (pas déroulé). Les liaisons gluten-amidon sont cassées, ce qui se ressentira à la panification. Pour faire un choix libre, il faut être informé, et le T n’est pas adapté à la mouture à meule de pierre et encore moins à un moulin type Astrié : cette norme a été faite pour la mouture sur cylindre, et c’est là où il y a un sujet de réflexion. Cela ne tient absolument pas compte de la composition nutritive de la farine, ni même de la façon dont elle a été moulue, et pourtant ces éléments ont une influence sur la qualité nutritive et la panification. Il y a une réflexion à mener là-dessus.

Propos recueillis par Lê Thi Mai Allafort
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