“Gaspard est dans le pétrin”, annonce un écriteau de bois en périphérie de Contamine-sur-Arve. Pas de panique : affairé au fournil avec son équipe, Gaspard Barioz va bien. En créant une boulangerie bio, il y a trois ans, dans ce village de Haute-Savoie, il a assouvi un désir d’enfant refoulé pendant sa première partie de carrière : fabriquer des produits « sains pour la nature et le consommateur, et surtout bons ! ». Car l’enfant gourmand est devenu un adulte exigeant sur le goût. « Je porte des valeurs et un profond respect de la nature, mais la base du métier reste le produit, soutient-il. Je ne fabrique que ce que je trouve bon ! » C’est ce goût qui, à 35 ans, l’a conduit jusqu’à l’École internationale de boulangerie fondée par Thomas Teffri-Chambelland. Il avait constaté que de nombreux boulangers dont le travail lui plaisait y avaient été formés.
Deux circuits de vente
Le local trouvé six mois après son diplôme est proche de son habitation. « C’est important pour travailler en 100 % levain naturel, car il faut être souvent au fournil »,souligne-t-il. Sa localisation excentrée l’a conduit à miser sur deux modes de vente. « La moitié se fait à la boutique, et la moitié en livraison à différents points de vente : magasins bio, boutiques de producteurs, Amap [pour le maintien d’une agriculture paysanne, NDLR]détaille le boulanger. Les deux réseaux ont bien fonctionné, dopés par le bouche-à-oreille. « Et je commence à travailler avec des pâtissiers qui préfèrent proposer un pain de qualité fait par un boulanger plutôt qu’un pain moyen de gamme fait maison. C’est gagnant-gagnant. Ils font plaisir à leurs clients et mon travail est mis en valeur. »
La plupart des pains sont fabriqués sur un levain de seigle, pour le goût. Un levain de petit épeautre pour les pains de petit épeautre, un levain de riz pour la gamme sans gluten et un levain de blé pour les buns et brioches. Et le levain de panettone, bichonné avec des rafraîchis très particuliers à des températures précises, connaît son heure de gloire autour des fêtes de Noël et de Pâques. Ces apparitions sont éphémères, pour renforcer le côté festif. « Et parce que c’est un travail monstre », avoue Gaspard, qui confit lui-même les oranges et passe quatre heures à casser des œufs pour en récupérer les jaunes…
Pousse directe
La gamme de pains de campagne (la plus vendue) est élaborée à base de farine T80, avec de l’eau filtrée et du sel de mer. Pour Gaspard, le secret des pains bien gonflés à la croûte fine et cassante se trouve dans l’hydratation de la pâte à plus de 80 % et dans l’absence de blocage au froid. « La fermentation se fait en direct pendant 4-5 heures à 24-25 °C, présente-t-il. On ne fait pas non plus de mise en banneton. La pousse se fait en bac pour avoir un bel alvéolage, puis le gros pâton est découpé et enfourné directement. »
À côté des déclinaisons de pains de campagne (avec graines, fruits secs, etc.) sont proposés une “baguette” de 350g (farine T65), une gamme au petit épeautre, une autre mi-seigle mi-blé, et une à la farine de riz, qui connaît un franc succès. L’offre est complétée par des pizzas boulangères et des foccacias pour la partie salée, des brioches, cookies et pains au lait fourrés pour les becs sucrés. À l’exception de ces douceurs, tout est vendu à la coupe et au poids (même la baguette), sans minimum imposé.
Bichonner son équipe
Les fournisseurs sont locaux si possible, mais la qualité prime sur la proximité. « Je prends parfois de la farine à des voisins pour faire des pains à l’ancienne, mais leur qualité n’est pas homogène ; or, en levain naturel, il est difficile de s’adapter à cette instabilité », témoigne le boulanger.
L’ambiance et les conditions de travail ne sont pas négligées. Il n’y a pas de travail de nuit ni de week-end. « Je ne peux pas rivaliser avec les salaires de la Suisse voisine, mais mes salariés restent car ils se sentent bien, les horaires sont corrects et le matériel est bien entretenu, ce qui évite les mauvaises surprises au travail », résume Gaspard. Cet ex-éducateur a gardé la fibre de l’attention à l’autre, qu’il s’agisse des collaborateurs, des clients, ou des personnes précaires à qui sont donnés les rares invendus.
Sans travail de nuit ni blocage au froid, la boulangerie ouvre tard en matinée. « Les client ont été surpris par nos horaires et par notre gamme, témoigne Gaspard. Mais ils ont été contents de trouver de bons produits, y compris sur le plan nutritionnel. Certains qui se disent sensibles au gluten se remettent à manger du pain. » Les lève-tôt et les inconditionnels du croissant peuvent toujours aller à la boulangerie du centre -village, plus traditionnelle. Les deux commerces se complètent sans se concurrencer.
Vu l’inflation, le prix du pain va augmenter de 3 % au 1er janvier. Ce sera la première hausse en trois ans. Là encore, il faudra faire preuve de pédagogie. Le boulanger est confiant : « On ne triche pas. On n’utilise que des matières premières très chères. Les clients s’adaptent tant qu’on explique nos raisons et qu’on fait de la qualité. » n
Écoresponsable au quotidien
Le respect de la nature se vit au jour le jour : nettoyage au savon noir et vinaigre blanc, qui sont peu toxiques (1), réglage du four évitant les déperditions de chaleur, rationalisation des éclairages, limitation du gaspillage en évitant la surproduction et don des invendus, approvisionnement local si possible et livraisons à 40 km maximum, limitation des emballages (zéro plastique), vente de sacs à pain en lin fabriqués localement et manuellement pour éviter les sachets, pas de flyers, néons ou écrans publicitaires. « Ce sont de petits gestes quotidiens, qui découlent d’une dynamique générale à laquelle toute l’équipe adhère », résume Gaspard.
(1) Hors protocole sanitaire renforcé en temps de Covid.
> Taille de l’équipe : 5 boulangers, 1 apprenti, 2 livreurs, 1 vendeuse et 1 gérant multi-casquettes (Gaspard Barioz)
> Surface : 135 m² avec un fournil totalement ouvert
> Chiffre d’affaires : 50 % à la boutique, 50 % en livraison dans un rayon de 40 km
Toutes les fabrications sont 100 % au levain naturel.
Le fournil.
Le fournil.
"Gaspard est dans le pétrin".
Pas de croissants ni pains au chocolat, mais des “pitch” : pains au lait fourrés d’une barre de chocolat noir.
La pousse directe sans blocage au froid permet d’obtenir des pains bien gonflés avec une croûte fine et cassante, selon Gaspard Barioz.
La boutique en Haute Savoie.