« 120 degrés » indique le thermostat. Les flammes du brûleur chauffent la cuve rotative bruyante où roulent les fèves. Après 12 minutes, elles déboulent par centaines sur la grille du refroidisseur : « J’adore cette odeur quand les graines de cacao sortent du torréfacteur ! L’objectif de la torréfaction est de développer les notes brunes, d’amande, de noisette, de café », ne se lasse pas de se réjouir le chocolatier Christophe Bertrand. Cet adepte du bean-to-bar (de la graine à la tablette) a choisi de créer des chocolats différents, en sourçant lui-même les matières premières qu’il transforme. A Savigny-sur-Orge (Essonne), le laboratoire de ce voyageur passionné dispose d’une pièce « sale » dédiée aux cacaos qu’il importe de Colombie, d’Haïti, d’Inde, de Madagascar, du Panama, du Pérou, des Philippines ou encore du Cameroun. Une vraie caverne d’Ali baba, remplie de dodus sacs en toile de jute, arrivés via le port d’Anvers. Les fèves qu’il torréfie et broie ce matin ont une belle robe d’un rouge profond. Elles proviennent de plantations camerounaises de petits producteurs que le chocolatier visite au moins deux fois par an.
En direct producteurs
Ce maître artisan, ancien du groupe Bongrain, a repris en 2010 A la Reine Astrid. La maison fondée en 1935 s’était taillée une jolie réputation jusqu’en Chine, avec des produits de grande qualité digne de porter le nom de la souveraine des Belges. Avec une forte éthique personnelle, Christophe Bertrand développe la marque qui emploie aujourd’hui trente personnes dans huit boutiques en Essonne, Hauts-de-Seine, à Paris, en Seine-et-Marne et dans les Yvelines. Quatre d’entre elles ont fait +70% sur leur chiffre d’affaires depuis qu’il a associé, en contrat de franchise, les vendeuses responsables de ces magasins.
Celles-ci se plaisent à expliquer la démarche durable et équitable de la maison. Les ingrédients comme la crème fleurette, le lait, le miel, les noisettes, et le sucre de betterave sont achetés directement aux producteurs. La majorité des cacaos aussi. Supprimer les intermédiaires permet de mieux rémunérer ceux qui vivent du travail de la terre.
« Avec le conseil départemental des Hauts-de-Seine, nous accompagnons depuis dix ans la filière cacao d’Haïti à s’organiser en coopératives de petits paysans (FECCANO). Plutôt que vendre leurs graines à 70 ct/kilo aux industriels américains, ils fermentent les fèves de variétés trinitario et criollo aujourd’hui certifiées équitables et bio. C’est mon chocolat de cœur. Je le reconnaitrais parmi mille. Il est très rond, équilibré, avec une note camphrée ».
L’originalité plaît
Christophe Bertrand s’épanouit à obtenir des ganaches atypiques et des goûts chocolats très variés. Ainsi, ses couvertures de bonbons sont fabriquées par Domori à partir du cacao rouge du Cameroun. Avec son équipe, il s’amuse à rechercher des aromatisations naturelles adaptées à ses envies : fumer des fèves au bois de hêtre, en macérer d’autres en fût de chêne dans du whisky, à travailler du beurre de cacao non désodorisé, etc.
Cette originalité plait : « En fabriquant nos propres chocolats, les vendeuses ont bien plus à raconter aux clients, sur la torréfaction, le conchage, etc. Bien entendu, l’histoire ne suffit pas, il faut que ce soit bon, que les gens se fassent plaisir ». Toutes les tablettes Reine Astrid contiennent 75% de cacao, « Je veux que mes chocolats parlent d’eux-mêmes. Si on n’aime pas, on en goûte un autre ». Ce maître artisan est élu de la Confédération des chocolatiers et confiseurs de France, et co-fondateur du club des chocolatiers engagés (voir article n°338). Sa démarche inspirante fait des émules dans la profession.
La vitrine de la boutique-labo de Savigny-sur-Orge, affiche clairement la démarche du maître artisan. chocolatier Christophe Bertrand A la Reine Astrid - Ile de France Alexie Valois
chocolatier Christophe Bertrand A la Reine Astrid - Ile de France Alexie Valois
Dans la conche, le grué de cacao frotté contre les cylindres en pierre devient peu à peu une pâte.chocolatier Christophe Bertrand A la Reine Astrid - Ile de France Alexie Valois
Dans la conche, le grué de cacao frotté contre les cylindres en pierre devient peu à peu une pâte. chocolatier Christophe Bertrand A la Reine Astrid - Ile de France Alexie Valois
Fèves de cacao rouge du Cameroun dans le refroidisseur. chocolatier Christophe Bertrand A la Reine Astrid - Ile de France Alexie Valois
Christophe Bertrand a acheté d’occasion son torréfacteur. chocolatier Christophe Bertrand A la Reine Astrid - Ile de France Alexie Valois
chocolatier Christophe Bertrand A la Reine Astrid - Ile de France Alexie Valois
Ses conseils pour démarrer en bean-to-bar
Prévoir une pièce sale maintenue à température pour stocker les sacs de cacaos. Avec un kilo de fèves, on obtient 800 g de grué de cacao, une fois les peaux extraites. Pour trouver la torréfaction qui convient, passer les graines au four 20 min, extraire une poignée, goûter, puis remettre 5 min, et goûter de nouveau, etc. Une fois débarrassé des peaux et broyé, peser le cacao et déterminer la proportion de sucre. Verser progressivement le grué dans la conche qui va monter doucement en température par frottements des cylindres de pierre. Attendre que la pâte se forme, et rajouter peu à peu du grué. Laisser tourner minimum 24h, puis incorporer le sucre. Continuer le conchage quelques heures puis vider le chocolat sur un tamis pour filtrer les derniers grains de sucre. Enfin, mouler les tablettes.
Prévoir un investissement initial d’environ 10 K€. Des broyeurs et conches sont vendus d’occasion sur internet. Mieux vaut acheter deux petites conches qu’une grande, car elles doivent être remplies aux ¾ pour tourner. Avec 10 kilos de chocolat, vous confectionnerez 100 tablettes.
Repères :
8 boutiques en Ile-de-France
30 salariés dont le chocolatier Nicolas Morin et le chef pâtissier Mathieu Zuppetti
Laboratoire de Savigny-sur Orge : 300 m2
Photos : © Alexie Valois