Alixe Bornon ne s’arrête pas. Après l’ouverture de deux boutiques Les Belles Envies à Paris — rue Monge (5e arr.) en 2016 puis rue Poncelet (17e arr.) en 2017 — et la sortie d’une autobiographie sur son aventure entrepreneuriale, la cheffe pâtissière spécialisée dans les pâtisseries à indice glycémique bas sort un livre de 52 recettes de gâteaux et desserts — une pour chaque semaine de l’année —, qui s’adresse à tous les gourmands, diabétiques ou non. Rencontre.
La Toque magazine : Vous souffrez de diabète depuis votre enfance. Après vos études de droit, vous décidez de vous tourner vers la pâtisserie. Pour vous, devenir pâtissière était une sorte de revanche sur la vie ?
Alixe Bornon : Je suis diabétique depuis que j’ai 13 ans : j’en ai bientôt 36, ce qui fait quelques années de frustration, effectivement. Ne pas pouvoir manger un gâteau à chaque anniversaire ou me faire plaisir quand je le voulais… alors que j’aime beaucoup le sucre ! On a souvent envie de ce dont on est privé quotidiennement. Dans ma tendre enfance, j’ai souvent mangé des gâteaux qui n’étaient pas bons, sans sucre. Alors, très jeune j’ai voulu repenser la pâtisserie et créer un concept. J’ai passé mon CAP à l’Institut national de la boulangerie pâtisserie de Rouen. Je voulais comprendre la pâtisserie. Mais surtout, à l’époque, je pensais qu’il fallait impérativement un diplôme pour ouvrir sa boutique. Aujourd’hui, je ne regrette pas du tout, au contraire. Rapidement, j’ai commencé à créer mes recettes mais j’ai rencontré beaucoup d’embûches : ce que l’on apprend à l’école, ce sont les classiques, ça ne correspondait pas à ce que je vivais depuis quinze ans personnellement, à ma maladie. Il a fallu s’ouvrir à d’autres choses, aux nouveautés… Les équivalences ne sont pas les mêmes, j’ai dû faire des centaines de tests pour réussir mes créations et ouvrir ensuite Les Belles Envies.
LTM : Vous fabriquez donc des pâtisseries qui s’adressent aux personnes diabétiques ?
AB : Je dirais que mes pâtisseries sont adaptées aux personnes diabétiques, qui peuvent se faire plaisir sans impact sur leur glycémie ; mais aussi à toutes les autres, qui peuvent manger une gourmandise sans contrainte. Bien sûr, j’avais conscience que ce concept parlerait aux diabétiques — qui sont 4,5 millions en France, sans compter ceux qui s’ignorent — mais, au départ, ma volonté était de toucher tout le monde, même si la seconde boutique s’adresse davantage aux personnes souffrant de diabète.
LTM : Pour autant, ce ne sont pas des “pâtisseries régime” que vous proposez dans vos boutiques, tout comme dans votre nouveau livre, 52 plaisirs sucrés à indice glycémique bas…
AB : 80 % de ce que vous mangez, c’est ce que vous êtes ; et pour ma part, mon pancréas ne fonctionnant plus, dès que je mange quelque chose de sucré, ma glycémie grimpe. Toutefois, il ne s’agit pas de gâteaux régime. Il y a de la matière grasse. J’ai simplement joué sur les sucres simples et complexes. Il faut d’ailleurs savoir que le gras est important dans le rapport glycémique, puisqu’il va réduire l’indice glycémique ; ça rééquilibre un plat, d’autant plus que l’insuline est une hormone de stockage, qui fait aussi grossir.
LTM : Aujourd’hui, de nombreux artisans et chefs tentent de chasser le sucre ou le sel, à l’heure où les consommateurs font de plus en plus attention à leur assiette.
AB : Le sucre traditionnel de la pâtisserie, le saccharose, a un impact très fort sur la glycémie. Dans ma gamme, il n’y a pas de saccharine ou autres édulcorants. Pour faire de la pâtisserie, on utilise en soit très peu d’ingrédients — les œufs, la crème, le sucre de betterave —, soit d’autres sucres ayant des indices glycémiques très élevés…, et ce, pour plusieurs raisons, techniques. Toutefois, aujourd’hui on a accès à d’autres choses. On choisit des sucres avec des impacts moindres sur la glycémie. Je suis toujours en R&D pour en découvrir d’autres, ou de nouvelles façons de travailler. Tous les jours, j’apprends. La tâche n’est pas facile, il faut user de méthodes différentes.
LT : Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour élaborer vos recettes ?
AB : Le plus dur, ce sont les glaçages qui se font généralement avec beaucoup de sucre. Il y aura en conséquence moins de brillance. On observe une tendance depuis quelque temps à des créations un peu plus ternes, plus home made ; donc sur ce point, ça peut plaire, mais pour certaines clientèles cela reste plus difficile. Car en premier lieu on mange avec les yeux. Dans la pâtisserie, le visuel est très important ! À Paris, le choix est énorme, et fidéliser une clientèle de plus en plus difficile. Dans mes boutiques, on fait donc des dégustations sur place, pour montrer qu’il y a du goût, du croustillant, et là, le client est conquis.
LTM : Comment avez-vous confectionné les recettes de votre nouveau livre ?
AB : Chaque semaine, je publie une recette sur une application de l'entreprise Propharma dédiée aux diabétiques. Cela a bien fonctionné, j’ai donc continué ; et on m’a proposé d’en faire un livre. Là aussi, j’ai repensé la pâtisserie en me prenant comme cobaye, en me demandant ce qui fait monter mon taux de sucre et quelles sont les alternatives. On retrouve donc le sucre de coco. J’ai repensé les recettes classiques pour que ce soit toujours bon et gourmand, et ne jamais — j’insiste — faire un produit minceur, qui n’apporte pas de plaisir et de satiété ; deux choses importantes en pâtisserie.
