Avec son audace, le pâtissier-chocolatier Pierre Hermé n’a de cesse de surprendre, ses pairs comme sa clientèle. Hors norme, il aime se démarquer, notamment en trouvant d’étonnantes et gourmandes associations de goûts. Ses créations “haute pâtisserie” font de lui l’un des chefs de file du renouveau de la pâtisserie française, par ailleurs élu en 2016 Meilleur pâtissier du monde par l’académie des World’s 50 Best Restaurants. Dans cet entretien, réalisé à l’occasion des Chefs à Saint-Tropez fêtent les producteurs — marché de producteurs haut de gamme organisé dans cette ville de la Côte d'Azur pour la quatrième année en mai dernier —, il salue la relation nourrissante qu’il entretient avec ses fournisseurs.

La Toque magazine (LTM) : La boulangerie-pâtisserie familiale alsacienne où vous avez grandi est-elle le berceau de votre vocation ?
Pierre Hermé (PH) : Le matin, il y avait les effluves de pains, de viennoiseries et de kouglofs. Dans ma famille, je suis la quatrième génération à faire ce métier. Mon père m’a donné envie. Il avait dans sa pratique une influence helvétique car il avait appris son métier en Suisse. Avant Pâques, il consacrait ses dimanches à la partie chocolat. Dès l’âge de 9 ans, je savais que je voulais être pâtissier.
LTM : Pour votre formation, vous n’êtes pas resté en Alsace, pourquoi ?
PH : Je devais faire mon apprentissage dans une pâtisserie de Ribeauvillé [Haut-Rhin]. Mais un jour, mon père lit une annonce dans le journal Les Dernières Nouvelles d’Alsace : Gaston Lenôtre cherchait des apprentis. Il m’a demandé si je voulais y aller. J’ai écrit pour postuler, puis mes parents m’ont accompagné pour me présenter. Je suis arrivé en 1976 à Paris pour me former à l’école Lenôtre et travailler au laboratoire. Ce que j’ai appris ces années-là, notamment avec Gérard Prosper [qui a passé vingt-cinq ans chez Lenôtre, NDLR], l’un de mes maîtres d’apprentissage, reste ma base de référence.

LTM : Justement, quels conseils donneriez-vous à des jeunes ?
PH : Je leur recommande d’entreprendre leur apprentissage du métier de pâtissier comme l’on peut envisager des études. Il y a d’une part le travail chez un maître d’apprentissage, d’autre part ce que l’on apprend à l’école, et enfin un travail personnel. Aujourd’hui, il est devenu facile avec Internet de rechercher des informations sur les ingrédients, les techniques, et de comprendre l’histoire du métier. Je leur conseille aussi d’avoir une ouverture d’esprit, d’être toujours en éveil.
LTM : Comment développez-vous votre expérience du goût ?
PH : Avec ma curiosité. Tous les goûts, toutes les textures me plaisent. Je travaille à partir de mes souvenirs et avec ma capacité à me projeter dans les goûts. Une année, j’ai rencontré sur le marché des Chefs à Saint-Tropez fêtent les producteurs une productrice d’ail noir. Avec ses légumes, j’ai créé un macaron ail noir et vinaigre balsamique. Un producteur m’a fait goûter son poivre de sapin… j’en ai fait un macaron. Je ne cherche pas, je trouve des nouveaux goûts. L’artisan se nourrit du lien avec les producteurs. Nos fournisseurs sont des gens importants, des personnes avec qui je travaille parfois depuis quarante ans. Certains ingrédients peuvent m’inspirer pendant tout une période. J’ai, par exemple, beaucoup travaillé l’algue nori, avec le chocolat.

LTM : Que mettez-vous en place pour vous sentir libre de créer ?
P.H. : La création est ma principale activité. La source d’inspiration, c’est parfois le produit, parfois des images, des lectures, ou des discussions. Je crée plus de cent cinquante recettes par an. J’impulse l’idée, et les personnes de mon équipe font des tests. Puis nous dégustons, nous validons ou nous continuons à travailler jusqu’à être satisfaits. Dans la phase de création, il est pour moi essentiel de m’affranchir de toutes les contraintes. Je ne sais pas travailler en ayant un objectif de commercialisation. Cela tue la créativité. J’aime faire l’exercice d’ouvrir au maximum, sans limites, et ensuite d’adapter en fonction des contraintes économiques. Cela signifie que je les intègre a posteriori, une fois que l’idée et que le produit existent. Pour la collection, nous adaptons les tailles des créations en fonction des poids correspondant à des objectifs de commercialisation. Par contre, nous vendons le produit d’exception ce qu’il coûte, sans adaptation.
LTM : Au printemps dernier, ouvrait boulevard des Capucines, à Paris, votre magasin Infiniment Chocolat. Quels sont les chocolats que vous aimez travailler ?
PH : C’est une boutique avec que du chocolat, rien que du chocolat. Je travaille depuis 1984 avec Valrhona. Transformer les fèves de cacao en chocolat est un métier. Je m’adresse donc à des experts pour fabriquer nos chocolats. Nous en consommons beaucoup : deux cents tonnes par an. Il y a une quinzaine d’années, j’avais mis au point avec Valrhona un chocolat au lait personnalisé. Et, plus récemment, nous avons mis au point des crus pures origines dont on connaît à chaque fois la plantation et le mode de production. À partir de ce choix de fèves, nous avons élaboré ensemble cinq chocolats noirs. Il y a le Brésil plantation Painairas, le Bélize plantation Xibun, le Madagascar plantation Millot, et un cacao d’une communauté agricole du Pérou. En Équateur, j’ai trouvé le cacao de la Plantation Hacienda Eleonor. Je me suis rendu dans trois de ces différentes plantations d’Amérique du Sud.