Désaffection des consommateurs, mauvaise récolte de blé tendre en 2023-2024, baisse significative des conversions chez les agriculteurs, et maintenant le Sénat qui adopte un amendement proposant la suppression de l’Agence bio avec l’aval de la ministre de l’Agriculture : l’agriculture biologique n’en finit plus de reculer en France. Et ce, malgré sa reconnaissance toujours plus grande comme réponse à un certain nombre de problématiques, notamment sanitaires.
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L’amendement n° II-1530 visant à la suppression de l’Agence bio présenté par le sénateur Les Républicains de la Haute-Loire, Laurent Duplomb, a ainsi été adopté vendredi 17 janvier 2025 au Sénat, qui examine jusqu’à jeudi 23 janvier le projet de loi de finances pour 2025.
Les missions de ce groupement d’intérêt public, “doté d’un plafond d’emplois de 20 équivalents temps plein”, seraient “reprises par FranceAgriMer ou réinternalisées par les services du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire”, indique l’amendement. Il en résulterait une économie de 3 millions d’euros, selon le sénateur de la Haute-Loire.
Créée en 2001, l’Agence bio a trois missions : promouvoir le label Agriculture Biologique (AB) auprès des citoyens, des élus, des professionnels, des médias, etc. ; améliorer la connaissance du secteur en collectant des données sur les surfaces et les fermes en bio ainsi que sur son marché et ses débouchés ; et financer la filière via le Fonds Avenir bio, dont la dotation — 18 millions d’euros en 2024 — serait maintenue.
Les débats qui ont suivi l’adoption de cet amendement ont été houleux.
Les écologistes pointent « les coûts cachés » de l’agriculture conventionnelle
« Voyez les coûts cachés de cette agriculture qui est en train de tuer la biodiversité et l’humanité ! s’est offusqué le sénateur écologiste d’Ille-et-Villaine David Salmon, qui proposait un amendement, non adopté, visant à créer une aide d’urgence à destination des filières de l’agriculture biologique, pour un montant total de 275 millions d’euros. En Ille-et-Vilaine, seulement 2 % des eaux de surface sont de bonne qualité [2 % des cours d'eau et 6 % des plans d'eau, selon l'Observatoire de l'environnement en Bretagne en 2022*, NDLR]. Les coûts de potabilisation et liés aux maladies induites sont colossaux. » « Mon inquiétude est partagée par de nombreux scientifiques, a-t-il poursuivi. Malheureusement, la désinformation fait rage. Il faut communiquer sur l’importance du biologique afin de lui rendre ses lettres de noblesse. […] Nous avons besoin de l’Agence bio. »
« Pensez-vous qu’en agriculture conventionnelle, il n’y a que de mauvais agriculteurs ? lui a répondu Annie Genevard, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Ce n’est pas parce que l’on internalise l’agence du bio que l’on néglige l’agriculture biologique. On essaie de rationaliser les coûts de fonctionnement. Aucun responsable politique ne peut être contre la volonté de rationaliser la dépense publique. Or les dépenses que vous proposez sont hors de proportion avec les marges de manœuvre dont nous disposons. »
Une politique de soutien à l’agriculture biologique qui « épuise les finances publiques »
« Je suis tout à fait favorable à l’agriculture biologique, évidemment, a poursuivi la ministre. Une agriculture de plus en plus exigeante ne peut être condamnable, mais elle doit trouver son modèle économique, qui ne peut reposer sur l’abondement de l’État. Plus de 100 millions d’euros en 2023, autant en 2024** : cette politique épuise les finances publiques sans parvenir à assurer à la filière les conditions durables de son maintien. Toutes les difficultés de l’agriculture ne peuvent être résolues par des subventions publiques. »
La crise de la demande de produits biologiques serait due, selon le sénateur David Salmon, à leur coût élevé, lié en partie à des marges « bien plus importantes en grande surface sur la bio que sur les produits conventionnels [liées à l'application de taux de marge comparables sur des prix d'achat aux agriculteurs supérieurs à ceux des mêmes produits non-bio, NDLR] », ainsi qu’à la multiplication de labels aux vertus diverses, faisant concurrence à l’AB. L’élu écologiste arguant que l'« on a instillé un doute sur la bio en mettant en place de faux labels pour l’agriculture conventionnelle ».
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Une désaffection des consommateurs mesurée par l’Agence bio : en 2023, la part des dépenses alimentaires des Français allouée au bio, en croissance forte jusqu’en 2021, est passée de 6 à 5,6 % de leurs dépenses ; tandis que 54 % des non-consommateurs de produits biologiques et 48 % des consommateurs avaient des doutes sur le fait que le bio soit totalement bio***.
Côté producteurs, l’objectif — inscrit dans le plan stratégique national de la politique agricole commune — est de 18 % de surface agricole utile conduite en agriculture biologique à horizon 2027. En 2023, un recul de 54 000 hectares de ces surfaces cultivées ou en conversion a été enregistré. En baisse de 2 % par rapport à 2022, elles sont passées à 10,4 % (2,8 millions d’hectares) de la surface agricole utile française****.
Un risque de « disperser le patrimoine et l’expertise de l’agence »
« On peut dire que ce gouvernement a le sens du timing et de la cohérence politique. Venir nous expliquer en pleine crise de la bio qu’il faut supprimer l’acteur chargé de promouvoir nos produits, c’est pour le moins osé », a réagi Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique, elle-même membre de l’Agence bio, dans un communiqué de presse diffusé lundi 20 janvier.
“Qui va se charger de ses trois missions d’intérêt général ?” interrogent les représentants de l’ensemble des organismes constituant l’Agence bio***** lundi 20 janvier dans un communiqué, qualifiant la mesure d'“économies de bout de chandelles”. “Des fonctionnaires de moins en moins nombreux qui auraient hypothétiquement le loisir d’assurer trois missions […] en plus ? Le bio […] est l’affaire de tous. Et il y a une agence dédiée à cette agriculture d’intérêt général qu’il ne faut pas casser en dispersant son patrimoine et son expertise aux quatre vents. […] Ne prenons pas l’autoroute de l’histoire à contresens !” conclut le communiqué.
Sénateurs et députés, réunis en commission mixte paritaire le 30 janvier prochain, statueront.
** Le Gouvernement a lancé un plan de soutien à l’agriculture biologique en 2024 avec un dispositif d’aide de 90 M€. Il faisait suite à un soutien d’urgence à la filière bio de plus de 110 M€ en 2023. Source : Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
***** Les administrateurs et responsables des organisations professionnelles de la filière, réunis au sein de l’Agence Bio : Jean Verdier, président de l’Agence Bio ; Loïc Guines, président de la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine, Chambres d’agriculture de France ; Philippe Henry, Fédération nationale d’agriculture biologique ; Bruno Martel, La Coopération agricole ; Christelle Le Hir, Syndicat national des distributeurs spécialisés en produits biologiques, diététiques et compléments alimentaires, présidente de La Vie Claire ; Jérémie Ginart, Synabio ; Benoit Soury, FCD, membre du comex de Carrefour ; et Philippe Lassalle Saint-Jean, administrateur des Interbio.