En prison, en Ehpad, en hôpital psychiatrique, en maisons d’enfants à caractère social (MECS), auprès de personnes handicapées… « On intervient partout où l’on peut travailler sur le lien à soi, aux autres et à son environnement », résume Maxi Neumann. Diplômée en psychologie clinique et formée durant six ans à l’approche psychocorporelle, elle a imaginé des thérapies originales en rencontrant un boulanger. « Il y a douze ans, je travaillais en hôpital avec des patients psychotiques très difficiles, qui ne parlaient pas. Je me demandais comment les aider à s’ouvrir sans passer par la verbalisation, raconte-t-elle. J’ai rencontré Paul Rochet, meunier-boulanger au fournil des Eparis (Haute-Savoie), où j’ai suivi un stage. Au fournil, je voyais la personnalité des gens s’exprimer dans la manière dont ils touchaient la pâte. Cela révèle beaucoup sur leur rapport au monde et à eux-mêmes. J’y ai vu un intérêt pour les gens n’ayant pas ou peu accès au langage. »
Plus de 800 bénéficiaires d’horizons divers ont profité d’ateliers pain au sein du fournil des Eparis, une installation mobile. B.Lafeuille
Une thérapie qui n’en a pas l’air
Paul Rochet lui laisse carte blanche pour « mettre en place quelque chose ». Ainsi sont nés les ateliers de découverte autour du pain. Ils accueillent des groupes de six personnes, de 9 h 30 à 16 h 30, avec des pizzas partagées le midi. « On chemine tout en travaillant la pâte-boulage, le façonnage, la pousse…, détaille Maxi. Alors qu’une séance de thérapie classique dure entre une heure et une heure trente, le fait de prendre le temps permet de tisser des liens. Et comme le pain est concret, la thérapie ne ressemble pas à une thérapie ! » Parce que certains publics (les détenus, par exemple) ne peuvent pas se déplacer, Paul et Maxi ont imaginé un four à bois mobile : c’est le fournil qui vient à eux !
Les objectifs sont multiples. « En prison, le but est d’évaluer les compétences socio-professionnelles des personnes en réinsertion. Auprès des adolescents, on travaille sur la sécurisation interne. En Ehpad, on cherche à recréer du lien entre les résidents et à les reconnecter à leurs souvenirs – la plupart ont vécu la Seconde Guerre mondiale et ont des histoires à raconter à propos du pain. En MECS, auprès d’enfants placés par la justice, on travaille sur la séparation. »
Paul et Maxi organisent aussi des ateliers pour le grand public, une fois par mois. B.Lafeuille
Mémoire brute
Un mot revient souvent dans la bouche de Maxi : le « lien ». « Le pétrissage fait ressortir beaucoup de choses de la période prénatale et néonatale. Quand on travaille des pâtes de 30 kg en se couchant presque dessus, cela rappelle le contact maternel comme un peau-à-peau ! »
Aurait-on les mêmes résultats avec de la pâte à modeler ? Maxi sourit. « Rien à voir ! La pâte au levain est vivante, réceptive à ce qu’on lui transmet par nos mains. Travaillée par deux personnes différentes, elle ne donne pas le même pain ! Il y a aussi toute la symbolique autour du partage et du savoir-faire ancestral. Et on est cohérent en utilisant des matières premières naturelles et locales : cela crée aussi du lien avec notre environnement. Le pain nous réunit autour de quelque chose de très intime et très primaire, il nous inscrit dans une histoire commune. »
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