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Les valeurs de la marque, comme le partage et la famille chez Sophie Lebreuilly, un outil de différenciation.
Les valeurs de la marque, comme le partage et la famille chez Sophie Lebreuilly, un outil de différenciation. ©DR

Les bonnes recettes des grandes enseignes (1/3)

La standardisation de l’offre, c’est à la fois le point fort et le point faible des réseaux de boulangeries. L’assurance d’une régularité mais sans la singularité de l’artisan indépendant, invité à prendre du recul sur sa pratique pour concilier les valeurs ajoutées de chaque modèle, et mieux se différencier. Les atouts des marques.

1/ La gestion de gamme

Alors que la consommation de pain baisse et que ses ventes stagnent en boulangerie, le snacking et les boissons ont le vent en poupe (respectivement + 16 % et + 7 % du chiffre d’affaires total en boulangerie-pâtisserie entre 2020 et 2021, selon la dernière enquête CHD Expert pour La Toque). Deux segments à forte marge donc, qui se trouventau cœur de la rentabilité des réseaux de boulangeries ; à l’instar de l’enseigne Sophie Lebreuilly, qui associe boulangerie, pâtisserie, restauration et café. « Ce mix de produits est un gage de solidité, comme les quatre pieds d’une chaise », relève son président, Olivier Lebreuilly.

© Mary Devinat - En 2023, le snacking reste un levier pour augmenter ses performances en boulangerie.

Dans les réseaux, chaque famille d’articles est composée de sorte à répondre à différents profils de consommateurs, avec généralement un produit d’appel (la baguette, par exemple) et une option végétarienne en snacking. Dans cette même optique, la baguette est proposée en plusieurs cuissons, avec des présentoirs alimentés en continu au cours de la journée. Difficile pour un artisan de tenir la corde, surtout lorsque les tarif­s actuels de l’énergie incitent plutôt à concentrer les cuissons.

L’idée n’est pas, non plus, « de proposer des gammes à rallonge. Mais de réfléchir à leur structure, en éliminant les références les moins rentables et en trouvant un équilibre entre classiques et innovations, produits d’appel et premium, avec des prix de vente soigneusement calculés », prévient Camille Royer, fondatrice de CiamCiam, cabinet de conseil marketin­g pour les artisans du goût. Autre de ses conseils : « Mettre en avant les produits à plus forte marge dans son magasin. Il s’agit d’optimiser son merchandising — c’est-à-dire l’organisation de son linéaire — en prenant en compte l’indice de sensibilité, soit un ratio entre la performance du produit et son positionnement » Illustration avec les nouveaux magasins de La Mie Câline intégrant “une table d’attaque” qui met en scène les cookies, best-sellers de l’enseigne.

2/ La vente en lots

La vente en lots est l’argument commercial phare de certaines chaînes (Ange, Marie Blachère, Louise, Firmin, etc.), qui pratiquent plusieurs types de promo­tions. En premier lieu : les offres pérennes (dites éternelles chez Ange), avec un produit offert pour trois achetés, en général, ce qui permet aux enseignes d’augmenter leur panier moyen en jouant sur les volumes. Ces offres quantitatives sont plébiscitées par les familles, converties à la congélation des pains et des viennoiseries. Difficile pour les artisans indépendants de rivaliser sur ce créneau, hormis peut-être pour un produit d’appel, comme la baguette.

Les chaînes proposent aussi des offres éphémères ou saisonnières sur certaines références : une démarche à adopter ponctuellement en boulangerie-­pâtisserie, communication à l’appui (publicité sur lieu de vente et publications sur les réseaux sociaux), pour mettre un coup de projecteur sur un (nouveau) produit ou écouler ses stocks. Autre pratique des chaînes : les remises sur les invendus, comme les “promos du soir” à prix fixe chez Louise. Lors des trente dernières minutes de vente, Marie Blachère propose ainsi 50 % de réduction sur sa gamme ; idem pour les produits de la veille, présentés sur une échelle dédiée en magasin.

Une stratégie commerciale et marketing à associer à un message valorisantla lutte contre le gaspil­lage, avec des prix calculés au plus juste pour ne pas mettre en péril sa marge. Attention toutefois à prendre en compte la typologie de son magasin : « Si la vente poussée peut générer du flux sur certains emplacements, ce n’est pas forcément le cas dans des petites boulangeries de quartier », remarque Benjamin Marchand, expert-comptable associé du résea­u ComptaCom.

3/ La rentabilité

Comme le rappelle Éric Kayser, « regrouper plusieurs établissements sous une même enseigne permet un amortissement des coûts », ainsi que des économies d’échelle. « Des assurances aux contrats d’énergie, tout est négocié, avec des presta­taires désignés, ce qui participe à la pérennité de notre modèle économique », indique David Giraudeau, directeur général de La Mie Câline.

© B.G. - Des produits signature, comme la brioche feuilletée chez Feuillette, valorisés en magasin pour favoriser l’achat d’impulsion.

Concernant l’approvisionnement, la majorité des chaînes disposent d’une centrale d’achat, la force du nombre offrant une capacité de négociation plus importante auprès des fournisseurs, pour des prix plus compétitifs que dans l’artisanat. Une réalité loin d’être une fatalité pour les indépendants, à condition de structurer leur activité. « Anticiper ses achats permet d’être pro­actif en la matière », estime la consultante Camille Royer, qui déplore « un manque d’objectifs, et de suivi de ceux-ci chez les artisans », au détriment de leurs performances. Un constat partagé par l’expert-­comptable Benjamin Marchand, « alors même qu’il existe tout un panel d’outils de pilotage et d’indicateurs de gestion faciles à prendre en main, à commencer par sa caisse et son bilan comptable. Des logiciels d’analyse de flux peuvent également aider », ajoute-t-il. Et de recommander un taux de marge brute autour des 70-72 % (à affiner selon les produits et leurs volumes de vente), équivalent à celui des réseaux de boulangeries.

4/ L’expérience-client

L’expérience-client est l’un des marqueurs identitaires des réseaux, à travers la mise en place de “concepts”, déclinés d’un magasin à l’autre. La plupart de ces entreprises, en particulier les enseignes installées en périphérie, ont misé sur de vastes surfaces, avec une réflexion sur les flux de clients, et la présence d’un espace restauration chaleureux valorisant l’accueil et le partage. “Dans nos boutiques, comme chez soi…”, avance ainsi l’enseigne Sophie Lebreuilly.

© DR - Les valeurs de la marque, comme le partage et la famille chez Sophie Lebreuilly, un outil de différenciation.

Feuillette, de son côté, cultive la tradition à travers des points de vente aménagés comme des salons (de thé), intégrant du mobilier cosy et même des photographies de famille de son fondateur sur les murs : un cadre confortable et instagrammable.

On y retrouve souvent des fonction­nalités pratiques, comme des WC, un Wifi illimité ou des prises pour recharger son smartphone. À cela s’ajoute tout un panel de services (numériques) censé­s faciliter la vie et l’acte d’achat des clients : menu digital, click and collect, site e-commerce, service de livraison, etc.

© B.G. - Comme les réseaux, n’éssitez pas a mettre en scène vos gestes et savoir-faire traditionnels.

Pour les artisans, il est nécessaire d’adapter ses outils à sa clientèle et à sa zone de chalandise (quartiers résidentiel, d’affaires, etc.). En dehors des grandes villes, une boutique en ligne peut s’avérer chronophage, pour un chiffre d’affaires restreint. Concernant la livraison, à chacun d’évaluer la pertinence de sa mise en place — en direct ou déléguée à un prestataire, suivant ses volumes de ventes. Il est également possible de segmenter ses services en proposant la livraison exclusivement aux entreprises, par exemple, et ce, dès le petit déjeuner. Dans tous les cas, ne pas hésiter à supprimer un service non rentable.

5/ La prise de recul

Pas de secret : le succès des réseaux réside pour partie dans une organisation au carré, avec des recettes hyper­calibrées et des process/­savoir-faire optimisés, soigneusement transmis et reproduits d’une unité à l’autre. Le challenge consiste à respecter ce cahier des charges, gage de qualité et d’identité du réseau, dans la durée et sur tous les points de vente de l’enseigne. Cela requiert de la formation, de la rigueur, de la méthode, mais aussi un accompagnement sur le long terme afin de repérer et de corriger les éventuelles baisses de motivation ou défauts d’organisation. Feuillette organise, par exemple, des audits périodiques dans ses magasins “pour veiller au bon développement de sa franchise”. Idem chez Maison Bécam.

© Mary Devinat - En 2023, certains réseaux, comme Paris Baguette ou Marie Blachère, investissent les centres-villes.

Une prise de hauteur plutôt rare chez les artisans : « Ils ont souvent la tête dans le guidon, sans vision sur l’évolution du secteur, la concurrence, les attentes des consommateurs », souligne Camille Royer, qui conseille de « poser une journée de temps en temps pour prendre du recul, goûter d’autres pains, se remettre en question et repérer des pistes de progrès ». Faire appel ponctuel­lement à un intervenant extérieur, tant sur la production et la vente que sur l’organisation ou le marketing, peut aussi offrir une vraie valeur ajoutée à son commerce et à ses équipes, remotivées autour de nouveaux produits ou objectifs.

La consultante débute ses missions auprès d’artisans par une observation et une identification des points forts et des points faibles du magasin, avant de dégager des recommandations et des priorités, « car une transformation se fait par étapes. Mais une fois la démarche engagée, il convient de s’y tenir pour obtenir des résultats ».

6/ Le storytelling

Quasiment tous les réseaux disposent de sites internet (à jour) rappelant leurs racines, plus que centenaires pour certains. En ligne, Maiso­n Pradier raconte sa “belle histoire”, démarrée en 1859. Certains artisans charismatiques n’hésitent pas à incarner leur message, comme Éric Kayser ou Jean-François Feuillette. Les réseaux ont aussi défini un ensemble de valeurs, largement mises en scène en magasin et dans leur communication. Elles tournent autour de quatre piliers : la qualité (goût, plaisir, fraîcheur, santé, savoir-faire, excellence), la proximité (clients, fournisseurs, matières premières), la responsabilité (lutte contre le gaspillage, tri sélectif, bien-être animal, etc.) et l’humain (convivialité, générosité, partage).

Cela vaut pour le management, dans une optique d’amélioration de sa “marque employeur”, à ne pas négliger en ces temps de recrutement compliqué. Entre autres enseignes, Firmin met en avant le fait de privilégier les postes en contrat à durée indéterminée à temps complet, par exemple.

À cela s’ajoutent des promes­ses, propres à chaque entreprise suivant son position­nement. Ange valorise ainsi son engagement économique avec des prix “qui ne montent pas au ciel”, quand Sophie Lebreuilly insiste sur ses valeurs familiale­s.

Pour la consultante Camille Royer : « L’essentiel est la cohérence du message entre le fond et la forme », sinon, gare au retour de bâton et à la perte de confiance. À défaut d’une notoriété et de campagnes de communication nationales, les artisans indépendants bénéficient d’un bonus proximité : montrez votre savoir-faire, mentionnez vos producteurs locaux, médiatisez vos engagements… autant d’actions qui participeront à l’image (de marque) de votre entrepris­e.

© DR - La fidélisation est consolidée par des offres et programmes VIP.
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