Vive l’altérité ! Ne faut-il pas regarder ce que font les autres afin d’inspirer de nouveaux élans, de nouvelles envies ? Aujourd’hui, la créativité boulangère n’a pas de frontières. Pour preuve les innombrables photos et vidéos publiées sur les réseaux sociaux — et en particulier sur Instagram — qui témoignent d’une inventivité virale.
Cette application, accessible quel que soit son fuseau horaire, a bel et bien effacé de nombreuses frontières. Instagram est devenu une vitrine planétaire des plus belles réalisations boulangères. Ces dernières années, la mode est au partage de ses créations qui feront envie, seront imitées et deviendront, pourquoi pas, des références mondiales. À tel point qu’on ne sait plus qui a imaginé le premier croissant géant, les premières viennoiseries colorées, etc.
« L’évolution que je repère un peu partout où je travaille dans le monde, est une internationalisation de l’offre, indique l’expert boulanger Luc Boulet. Prenant la suite d’Hubert Chiron, il préside depuis 2023 l’Association internationale du pain français. Aux États-Unis ou à Hong Kong, l’image de l’artisanat français est gage de qualité. Les baguettes, croissants et pains au chocolat forment la collection best-seller. Personne ne veut rater cette vente-là. À New York, le kouign amann breton est une viennoiserie qui marche bien. Dans les boulangeries françaises toute une collection de produits internationaux s’est développée en provenance des pays ayant une culture boulangère. »
Parmi les chouchous de nombreux consommateurs, les crumbles, muffins, brownies et cookies américains sont désormais concurrencés par les babkas, brookies, roulés cannelle, scones, croissants fourrés, etc. Le panettone fait maison étant le Graal, le signe de l’excellence italienne. Côté salé, l’indétrônable pizza a une sacrée cousine en vitrine : la focaccia, qui se décline en de nombreuses et appétissantes recettes.
Dans les fournils des confrères
«Les boulangers français en quête de nouveauté délaissent certains pains spéciaux passés de mode au profit de ces produits inspirés d’autres traditions. Les clients curieux ont davantage l’impression de voyager en mangeant une babka qu’en dégustant la création originale d’un artisan», complète-t-il. Désormais, beaucoup de professionnels consultent quotidiennement ce que font leurs confrères. Ils communiquent entre eux ou regardent des tutoriels sur YouTube. D’autres suivent une formation spécifique. Luc Boulet préfère se rendre dans les fournils de ses confrères, « à la source de l’entreprise qui a le savoir-faire ». Malgré cette uniformisation mondiale, l’exécution des recettes demeure propre à chaque artisan.

Dans les concours professionnels, les produits internationaux se bonifient. Avant l’ère numérique, quand les smartphones n’existaient pas, les créations étrangères inspiraient déjà les artisans français. La Coupe du monde de la boulangerie est née en 1992 au salon Europain — qui se tenait alors à Villepinte —, avec le soutien de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française. Ainsi depuis trente ans, les professionnels avisés peuvent s’asseoir parmi le public et observer d’autres boulangers pétrir, façonner et cuire. Ce n’est pas rien !
« Les fournils des équipes sont ouverts, ce qui offre l’avantage de regarder comment travaillent ceux qui ont la chance de magnifier le produit jusqu’à la perfection, explique Christian Vabret, le fondateur du concours. Nous avons lancé la Coupe du monde de la boulangerie avec trois objectifs : faire évoluer le niveau de formation des boulangers du monde entier, améliorer l’image de ces professionnels vêtus d’une veste blanche comme les chefs cuisiniers et pâtissiers, et enfin préparer l’avenir en suscitant de jeunes vocations. »
La première partie des épreuves impose une maîtrise des produits typiquement français, dont la baguette. L’autre moitié du concours est libre, avec la préparation d’une viennoiserie typique de chaque pays, la valorisation d’une recette locale que les boulangers améliorent pour obtenir un produit de concours. «Toutes les grandes régions du monde ont leurs particularités, confirme celui qui est aussi boulanger à Aurillac (Cantal). Le Danemark, la Suède et les Pays-Bas sont très forts et terminent souvent sur la deuxièmeplace du podium, avec des pains ayant beaucoup de goût, des ingrédients mélangés. Ils sont inspirants. »
Les boulangers asiatiques visent et atteignent l'excellence
Les artisans boulangers asiatiques qui participent à ces compétitions internationales sont, quant à eux, parmi les plus dynamiques. L’équipe en provenance de Taipei City (Taïwan) a remporté l’édition 2022 de la Coupe du monde de la boulangerie. Au dernier Mondial du pain (en octobre 2023, à Nantes), l’équipe chinoise est montée sur la première marche du podium, devant la France. Les autres nations à se distinguer étaient, dans l’ordre : Taïwan, le Japon, la Corée du Sud et la Belgique.
Les Japonais sont réputés être précis et méticuleux. Leur rigueur et leur esprit d’équipe impressionnent souvent les Européens. Les Chinois, qui se sont approprié le savoir-faire de la boulangerie occidentale, élèvent le niveau au plus haut : « Quand ils ont commencé à participer aux concours, ils finissaient derniers, se souvient Christian Vabret. Aujourd’hui, ils remportent tout ! Ces professionnels n’ont pas de limites à leur imagination. À partir d’une seule viennoiserie, ils imaginent et fabriquent plusieurs produits, beaux visuellement, et bons», s’enthousiasme-t-il. Très compétiteurs, les Chinois veulent gagner et mettent les moyens pour cela : « Ils ne laissent rien passer. J’ai pu observer une coach qui, en fin de journée, demandait à son équipe de tout recommencer pour qu’elle atteigne la perfection. Les boulangers chinois qui participent aux concours peuvent rester deux jours sans dormir. »
Sublimer des recettes traditionnelles
En novembre dernier, l’organisateur de la Coupe du monde de la boulangerie s’est rendu à Shanghai (Chine). Une rencontre y réunissait les participants à la compétition qui se tiendra au Sirha Europain, du 21 au 24 janvier prochain à Paris-Porte de Versailles. Lors d’un entraînement en public, l’équipe française a rencontré les équipes chinoise, du Japon et de Corée du Sud. «Ensuite, les boulangers ont fraternisé, en passant ensemble des soirées afin de mieux se connaître », explique Christian Vabret.
À cette occasion, il a pu observer les boulangers chinois préparer des mantous (buns), ces petits pains à la farine de blé et levure cuits à la vapeur dans des paniers ou dans un four à vapeur. « À partir de cette pâte à pain, ils réalisent des pièces individuelles fourrées, qu’ils peignent au pinceau pour obtenir des séries décorées. C’est une très bonne idée, qui peut être reprise par des artisans bosseurs.»
Au fil des éditions, la Coupe du monde de la boulangerie a révélé des créations et a sublimé des recettes traditionnelles. Comme l’injera, une galette originaire d’Éthiopie et d’Érythrée. Sur une base de farine de millet ou de teff — ayant la texture de sarrasin —, avec une fermentation lente au levain, ces galettes peuvent servir des créations savoureuses riches en nutriments.
Les artisans qui souhaitent améliorer leurs ventes avec ce type de produits sortant de l’ordinaire doivent absolument les personnaliser et les adapter à leur type de clientèle, sans perdre de vue la rentabilité de ces nouveautés.
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