Reine des épices, la vanille noire est la favorite des gourmets. Les Français en raffolent ! Aussi, boulangers, pâtissiers, chocolatiers et glaciers s’approprient cet ingrédient star tout en surveillant de près les tarifs des fournisseurs : la vanille est la seconde épice la plus onéreuse après le safran. Mais surtout, le prix des gousses a tendance à fluctuer considérablement.
Le cycle, de la hausse à la baisse, se déroule sur environ cinq années. En 2017, le kilo de vanille noire de Madagascar a grimpé à 500 dollars, prix exportateur. Car ce ne sont pas les quantités achetées par les artisans qui influencent le cours, mais plutôt les grands volumes dont les industriels de l’alimentation ont besoin. La production mondiale de vanille est capricieuse. Avec l’arrivée sur le marché de nouveaux pays producteurs, il y aurait une surproduction, donc des tarifs au plus bas. Nous sommes actuellement en période baissière. C’est le moment d’en profiter ! Pour la campagne 2024-2025, le gouvernement malgache a d'ailleurs fixé au printemps un prix export minimal de 60 €/kilo. Quelque 123 exportateurs ont été agréés. D’après le ministère de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanant, 4 400 tonnes de vanille ont été exportées, un record.

En Europe, depuis le XIXe siècle, la tradition vanillière du Mexique et de Tahiti s’est exportée dans diverses régions tropicales humides du monde, où des plantations ont été créées. L’île de Madagascar en demeure aujourd’hui le premier pays producteur. Parmi les 110 vanilles répertoriées, la plus cultivée est la Vanilla planifolia. Cette variété aux gousses grasses et charnues, aux grains intenses et parfumés, est donc la plus consommée. En 1964, pour la commercialiser et contrer l’emploi d’arômes de synthèse, l’Alliance de la vanille de l’océan Indien — regroupant alors Madagascar, l’archipel des Comores et l’île de La Réunion — a créé le label Vanille Bourbon*.
L’Indication Géographique Protégée Vanille de l’île de La Réunion existe quant à elle depuis 2021. Selon le Syndicat national des transformateurs de poivres, épices, aromates et vanille, Madagascar produit 78 % de la vanille mondiale, la Papouasie-Nouvelle-Guinée 9 %, l’Indonésie 7 %, l’Inde 2 % et l’Ouganda 2 %*. Les autres productions, aux quantités plus restreintes, ne manquent pourtant pas d’intérêt pour certains professionnels.
Une grande richesse aromatique des vanilles
Si les Planifolia aux notes très sucrées de pruneau et de caramel séduisent le pâtissier collectionneur Paul Galand (lire son portrait en deuxième partie du dossier), il apprécie également travailler la vanille Pompona aux arômes de fruits exotiques, d’abricot séché et de fraise maturée. Le parfum floral anisé, avec des nuances de chocolat, d’amande et de monoï caractérise la vanille Tahitensis. Endémique de Tahiti, elle a bénéficié d’un plan de relance des cultures à partir de septembre 2013*. Parmi ses favorites figure aussi la vanille Maya Cribbiana du Guatemala, aux notes de café, coumarine, caramel, fruits confits, rhum, et panettone. Et la vanille Chamissonis du Brésil a une palette aromatique incomparable d’amande fraîche, de clou de girofle, de citron noir, de cerise noire, avec une prédominance de menthe poivrée.
« Les productions d’Ouganda souffrent encore d’un déficit de notoriété, explique l’importateur Bruno Aubrun. Le pays suit pourtant des méthodes de préparation similaires à celles de Madagascar. Les vanilles de Papouasie-Nouvelle-Guinée commencent à être appréciées par les professionnels. Cela prend des années pour se faire connaître, montrer de la qualité, du sérieux, du suivi. » Il a créé en 1995 en Seine-Maritime sa société d’importation Le Monde de la vanille. « Sur une gousse bien préparée se forment des cristaux de vanilline, que l’on appelle du “givre”. » Une gousse blanchie est un signe de qualité, comme sur les Planifolia de Mayotte, de La Réunion et de Nouvelle-Calédonie. « Une vanille s’affine si elle est bien préparée. On peut la garder des années », assure Bruno Aubrun. Il souligne encore que les vanilles françaises, qui sont d’excellente qualité, sont souvent récompensées aux concours agricoles.
Son confrère Valentin Bernard estime qu’il y a chez certains consommateurs le fantasme d’une vanille originale, une vanille de niche : « Acheter en France une vanille chère n’est pas une garantie de bonne qualité. Il n’est pas justifié de dépenser cinq cents euros pour un kilo de gousses ! Même si le coût du salaire minimum français impacte forcément les nano-productions des Antilles et de La Réunion. » Ce Rennais vit la moitié de l’année sur l’île malgache Nosy Komba. À son activité touristique s’ajoute, depuis 2012, Cap d’Ambre vanille, qui vend des lots de 25 à 30 kg de gousses affinées. « Madagascar a le soleil et le vent de l’océan Indien, et la bonne échelle du volume de production pour lancer le processus de transformation », explique-t-il. Son site internet présente en vidéo ce travail mené simultanément par des dizaines d’ouvriers pour trier, étuver, sécher, et maturer 2 à 5 tonnes de gousses. Il faut un vrai savoir-faire.
Et en amont, « les coopératives de cultivateurs fonctionnent bien. De la plantation à la récolte, les producteurs investissent deux ans de travail avant d’obtenir des gousses. Elles sont toutes bio car ils n’ont pas d’argent pour acheter des engrais ou des pesticides. Le label Ecocert, implanté à Madagascar, est le moyen le plus sûr d’assurer une traçabilité des gousses : la plantation et le terrain où les vanilles sont entreposées sont inspectés, idem pour le site du préparateur. » Valentin Bernard sait qu’une vanille qui n’a pas suffisamment séché ne se conserve pas. « Je veux entre trente et trente-deux pour cent d’humidité, pas plus. » De son côté, Bruno Aubrun a abandonné certains partenariats qui n’étaient pas fiables en matière de qualité ou de réactivité. « En trente ans, je n’ai jamais signé un contrat, mais j’ai toujours des plans A, B et C pour sécuriser les achats ! »
Garantir la sécurité alimentaire
Chez Authentic Products, maintenir une qualité rigoureuse est la priorité. Basée en Gironde, l’entreprise familiale a été créée en 2005 par Laurence Cailler et la Malgache Gigi Chan Hoi Mi. Marina Larcebeau est responsable des ventes gourmet : « Les artisans comme les chefs apprécient de pouvoir s’assurer d’une qualité régulière des matières premières qu’ils travaillent. Nous veillons à la qualité intrinsèque de nos produits : propriétés organoleptiques, taux de vanilline, qualité visuelle ; et à son adéquation avec les différentes réglementations, notamment en termes d’hygiène. Par exemple, une vanille noire ne doit pas avoir un taux d’humidité supérieur à trente-huit pour cent. Et nous réalisons des analyses bactériologiques. » Il y a deux ans, cette société franco-malgache a obtenu la certification FSSC 22000 (pour Food Safety System Certification), soit la norme de sécurité alimentaire reconnue au niveau international la plus exigeante.

« Gigi a appris la préparation de la vanille de par ses parents qui étaient collecteurs et préparateurs de vanille. Nous disposons de relations anciennes, très solides », poursuit-elle. L’entreprise achète des gousses vertes aux producteurs et les prépare dans ses ateliers à Madagascar, à Antsirabe Nord. Elle en transforme également une partie en extraits à Tamatave. La touche des préparateurs comme la qualité de la récolte ont leur importance : « Neuf mois après la floraison de la liane, la gousse est prête à être cueillie manuellement. Si les gousses sont cueillies trop précocement, elles n’ont pas le temps de développer les précurseurs de la molécule de vanilline qui, en plus de son pouvoir aromatisant, a aussi des propriétés antiseptiques », explique Marina Larcebeau.
Authentic Products est l’un des leaders mondiaux en matière de volumes exportés. Les gousses préparées et les extraits sont commercialisés auprès des industriels et des métiers de bouche. Soixante-dix personnes sont salariées à plein temps à Madagascar, et jusqu’à 400 personnes embauchées pour la préparation des gousses. Les contrôles et le conditionnement à façon ont lieu près de Bordeaux. « Je m’occupe personnellement de déterminer le lot adéquat à mes clients pour leur offrir une qualité constante et propre à leurs attentes, en termes d'arômes et d'humidité. Nos clients nous font confiance, dont certains de renom : Pierre Hermé ou le glacier Berthillon, par exemple. »
* SNPE, Symtia. La vanille a travers le monde. Fedalim: Newsletter n° 21 2022. www.fedalim.net/wp-content/uploads/2022/09/NL21-FEDEMET.pdf
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