Le pain a de nombreuses raisons de nous fasciner. L’une d’elles – et pas des moindres – réside dans sa capacité à former une mie moelleuse lorsqu’il est frais, suivie de son rassissement au cours du temps. Ce phénomène donne à la mie une texture caoutchouteuse, dure, puis même cassante, comme s’il avait été desséché. Pourtant, le pain rassis a gardé une très grande partie de son eau. Il a simplement cristallisé. Il suffit d’ailleurs bien souvent de la réchauffer pour rendre son moelleux à l’intérieur d’une tranche de pain toastée ou de pain perdu.
Ces propriétés assez extraordinaires de la mie de pain sont en réalité liées à celles, biochimiques, de l’amidon – qu’il contient en proportion importante, à hauteur d’environ 70 % de son poids sec. « L’amidon joue un rôle pivot lors de la transformation de la pâte crue en pain cuit, puis lors du vieillissement du pain », résume le boulanger et formateur Thomas Teffri-Chambelland dans son Traité de boulangerie au levain.
L’amidon, énergie de base du pain
L’usage de levains a un double effet retardateur sur le rassissement. Les acides produits ont un effet protecteur du gel d’amidon, de même que la production de sucre en cours de cuisson par les enzymes bactériennes. © A. Dufumier
En boulangerie, l’amidon a d’abord un rôle nutritif. Dans la nature, ses réserves dans le grain de blé ont d’ailleurs pour finalité de fournir l’énergie nécessaire à la germination de la plante. En panification, ce rôle est détourné (hacké, pourrait-on dire) afin de fournir de l’énergie au corps humain et, avant cela, aux bactéries et aux levures en vue de la fermentation de la pâte. L’amidon est en effet l’énergie de base du pain. Une partie de celui-ci est transformée en sucres fermentescibles dans la pâte, au contact d’enzymes naturellement présentes ou ajoutées. C’est sous l’effet de la fermentation de ces sucres qu’est produit du gaz carbonique, en quantité suffisante pour assurer la levée du pain.
Gélification de l’amidon
La deuxième fonction de l’amidon est de constituer l’architecture de la mie. En effet, en présence de l’eau incluse dans la pâte et de la chaleur dégagée par la cuisson, les grains d’amidon éclatent et forment un gel, constitutif de la mie de pain. Ce gel emprisonne une part importante de l’eau, assurant au produit sa fraîcheur, pendant une durée plus ou moins longue après sa sortie du four.
Cette étape de gélification, parallèle à la coagulation des protéines, est responsable de la formation de la texture viscoélastique de la mie. Le processus de gélatinisation de l’amidon arrête la prise de volume du pain au cours de la cuisson avec une « transformation irréversible de la pâte à pain », explique Thomas Teffri-Chambelland.
Certaines pâtes présentent des températures de gélatinisation plus basses, et donc une prise de volume réduite. D’autres, au contraire, s’accompagnent de températures de gélatinisation plus élevées, permettant une augmentation de volume plus conséquente.
L’ajout de matières grasses a un effet retardateur sur la gélatinisation. La graisse aurait comme propriété de protéger les grains d’amidon de la pénétration de l’eau et de retarder ainsi leur éclatement. Elle est très utilisée pour la prise de volume des pains de mie, des brioches ou des viennoiseries. En revanche, un taux élevé de grains d’amidon endommagés* dans la pâte a pour effet d’avancer la gélatinisation au cours de la cuisson, ce qui conduit à des pains plus denses.
Un pain rassis n’est pas un pain sec, il suffit de le chauffer pour disperser à nouveau l’eau et l’amidon
Selon la qualité de la farine, sa concentration en enzymes et la vitesse de cuisson, il existe un risque d’effondrement de l’architecture de l’amidon, et donc du pain, au cours de la cuisson. © A. Dufumier
Selon la qualité de la farine, sa concentration en enzymes et la vitesse de cuisson, il existe un risque d’effondrement de l’architecture de l’amidon, et donc du pain, au cours de la cuisson.
Le gel formé par l’amidon peut par ailleurs s’affaisser en cours de cuisson, explique Thomas Teffri-Chambelland. En effet, sont présentes dans les farines des enzymes appelées amylases, qui ont la capacité de couper les chaînes d’amidon au cours de la cuisson jusqu’à une certaine température (80 °C environ) après le point de gélification. Le gel d’amidon risque alors de se déstructurer, et le pain de s’effondrer (pâte trop riche en amylase ou montée en température trop longue, par exemple). Dans ce cas, la mie devient pâteuse. La croûte du pain sera souvent trop foncée, du fait de réactions de Maillard intenses avec les sucres produits par les amylases. Malgré cela, une activité modérée des amylases est souhaitable pour la fraîcheur de la mie, pour son aspect ainsi que pour celui de la croûte. Afin de contenir cette activité, Thomas Teffri-Chambelland, conseille de travailler avec un pH de pâte inférieur à 4,5.
Cela étant dit, les propriétés biochimiques de l’amidon ne sont pas les seules à intervenir dans le développement des pains. La maîtrise de la fermentation et des gestes techniques sont également des facteurs de premier ordre.
Retarder le rassissement
La troisième fonction de l’amidon dans le pain est celle du rassissement. Au cours de ce processus, l’amidon se réorganise sous forme cristalline – on dit qu’il rétrograde – grâce à une migration rendue possible par la présence d’eau. Le pain rassis perd malheureusement son intérêt commercial auprès de consommateurs qui ne jurent bien souvent que par le pain frais. Cependant, il présente des qualités de conservation assez exceptionnelles. L’eau, bien que présente à hauteur d’environ 46 % au sein de la mie, s’y trouve en effet sous une forme peu disponible pour les moisissures. Un pain rassis n’est pas un pain sec. Il suffit de le chauffer pour disperser à nouveau l’eau et l’amidon à l’intérieur, et lui apporter ainsi une nouvelle fraîcheur.
Par ailleurs, le pain rassis peut présenter des applications culinaires intéressantes, sous la forme d’une tranche de pain grillée, de croûtons, de pain à fondue, de pain perdu, de chapelure, en tant qu’épaississant, etc.
Pour retarder le rassissement des pains, le boulanger a la possibilité d’augmenter leur taille. Par ailleurs, la présence de fibres ou d’acides est également de nature à freiner le phénomène. Selon Thomas Teffri-Chambelland, le pain au levain y est moins sensible du fait de la production d’acides d’une part, mais également de celle de sucres par des amylases bactériennes capables d’avoir une activité à haute température au cours de la gélatinisation de l’amidon. Ces sucres formeraient un réseau dans la mie qui limiterait les mouvements de rétrogradation de l’amidon, de la même manière que la matière grasse retarde le rassissement.
La rétrogradation de l’amidon lors du rassissement nécessite de l’eau. Les pâtes fortement hydratées sont ainsi, paradoxalement, plus exposées au phénomène. En congelant les pains, le processus est stoppé : l’eau, devenue solide, n’est plus disponible. Une autre méthode de prévention du rassissement décrite par Thomas Teffri-Chambelland, consiste à recuire le pain pour éliminer une quantité plus importante d’eau afin d’empêcher l’amidon de rétrograder.
Parmi les bonnes pratiques pour retarder le rassissement, il convient d’éviter le stockage en sachet en plastique et le froid.
Farine de boulangerie additivée d'amylases. © A. Dufumier
Une autre possibilité consiste à utiliser des farines riches en amidon de type amylopectine, qui a la propriété de ne pas rétrograder ou de rétrograder difficilement. La farine de blé en contient naturellement en quantité importante – de l’ordre de 72-74 % de la quantité totale d’amidon. Certaines variétés de blés comportant 100 % d’amylopectine (blés waxy) ont été mises sur le marché mais n’ont, semble-t-il, pas connu de succès commercial.
* La farine contient une part plus ou moins importante d’amidon endommagé (15-18 % normalement) selon la dureté du grain et le process de mouture utilisé.