Le point de fusion
On appelle “point de fusion” la température à laquelle le beurre — qui est, sur le plan physico-chimique, une émulsion — passe de l’état solide à l’état liquide. Généralement, celle-ci oscille entre 28 et 32 °C. « Ce point de fusion est lié à la composition en acides gras du beurre. Plus ces acides gras sont saturés en hydrogène, plus il sera élevé, précise Denis Fatet, formateur à l’Institut national de la boulangerie pâtisserie. L’autre caractéristique est que le beurre est une association de molécules grasses et d’eau. L’objectif en boulangerie-pâtisserie, est que l’eau reste bien présente parce qu’elle va influer sur la consistance, la tenue. Maîtriser ce “seuil critique” est essentiel, car l’artisan aura besoin qu’il soit plus ou moins élevé en fonction de ses fabrications. S’il confectionne une crème d’amandes, par exemple, il aura besoin d’un point de fusion bas. Ainsi, le produit va fondre plus rapidement en bouche ; il ne sera pas pâteux, épais, comme pour une margarine, poursuit-il. Pour cela, on utilise donc des beurres à bas points de fusion, dits beurres d’incorporation, également adaptés aux pâtes levées. Le beurre dit de tourage présente, lui, un haut point de fusion. Il est davantage plastique et supporte d’être laminé sans être fractionné, ce qui le rend intéressant pour les pâtes feuilletées, les viennoiseries. Le feuilletage consistant à étaler et à plier, il faut que le beurre accepte d’être étalé sans casser, d’être plié sans rompre. Il faut pouvoir conserver les strates et cette alternance de couches. C’est d’ailleurs le soulèvement de ces différentes couches qui va donner à la texture son volume et son croustillant. »

Communiquer sur l’origine
Il existe un troisième type de beurre, utilisé dans les boulangeries qui proposent une offre snacking, en sandwicherie. « Dans ce cas, l’artisan a besoin d’un produit tartinable, souligne Denis Fatet. Là aussi, le point de fusion va entrer ligne de compte, car le beurre doit être immédiatement utilisable à la sortie du réfrigérateur. Le sandwich, lui, sera stocké dans une vitrine réfrigérante. Pour le consommateur, il faut que la texture en bouche soit agréable : pas trop froide ni cassante. C’est là l’intérêt des beurres de baratte, qui sont plus tendres. Les consommateurs étant de plus en plus soucieux de l’origine des matières premières, il est intéressant pour un artisan d’utiliser un beurre AOP et de communiquer dessus. Comme ceux de Charentes-Poitou, d’Isigny-Sainte-Mère ou de la Laiterie de Montaigu. »
Pour répondre aux différentes demandes des professionnels de la boulangerie-pâtisserie, industriels ou plus petits fabricants présentent des gammes adaptées. Avec des contraintes qu’ils rencontrent tous : la variabilité de l’alimentation des vaches laitières, leur race, l’effet des saisons — qui vont influer sur les teneurs en acides gras, et donc sur les points de fusion. « Il y a ainsi des différences entre le beurre d’été, plus mou, lorsque les vaches sont dans les prairies ; et les beurres d’hiver, plus durs, avec des rations à base de foin et de concentrés, détaille Denis Fatet. Le savoir-faire des fabricants consiste donc à offrir un produit le plus stable possible tout au long de l’année. »
C’est le cas de Lactalis, notamment sur son site du Petit-Fayt, dans le Nord. « Nos maîtres beurriers ont une connaissance de la matière première et un savoir-faire qui nous permettent, justement, d’offrir toute l’année des produits homogènes, très techniques, explique Hélène Poupard, chef de produit senior beurres professionnels chez Lactalis. Nous travaillons sur la texturation, suivant des méthodes bien spécifiques. Nous proposons même un produit avec un point de fusion très élevé, 34-38 °C ; un beurre sec de tourage, dont l’obtention tient du secret de fabrication ! Il est intéressant car il offre une texture souple, une bonne tenue, y compris dans les laboratoires ne bénéficiant pas d’ambiances maîtrisées, qui ne sont pas climatisés. »

Sur les zones de beurre Charentes-Poitou AOP, les fabricants collectent des laits offrant une teneur élevée en acides gras saturés, gage d’un beurre au point de fusion élevé. « L’alimentation des vaches, encadrée par un strict cahier des charges, favorise ce paramètre, précise Laurent Chupin, directeur du Syndicat des laiteries Charentes-Poitou. Nos maitres beurriers veillent particulièrement à l’étape de maturation physique : différents seuils de températures sont atteints afin de donner aux acides gras une structure cristalline, adaptée aux usages pâtissiers. Le principe est le même que pour le tempérage du chocolat : après une maturation biologique de la crème, la matière grasse est à son optimum pour être barattée. Elle exprimera alors toutes ses qualités organoleptiques et ses propriétés mécaniques dans nos beurres. »