L’écurie est devenue Le fournil du Chêne Vert. Magali Braja l’a créé dans le prolongement de sa maison : une ancienne ferme située à 600 mètres d’altitude, à l’écart du village de Saint-André-de-Boëge en Haute-Savoie. Quatre grandes fenêtres apportent une lumière généreuse à la pièce d’une soixantaine de mètres carrés. Elles laissent aussi entrer le paysage : des étendues de pâturages, de bois et de champs cultivés.
À 20 km au sud du lac Léman, la vallée de Boëge, aussi appelée vallée Verte, est une petite combe alpine arrosée par le torrent de La Menoge. Il n’y a pas de supermarché et les commerces de proximité, dynamiques, sont au service de quelque 8000 habitants. L’artisane boulangère façonne manuellement et peut par moments laisser son regard se poser sur l’horizon.
Il est 13 heures. Avant de retourner à pied à l’école, l’une de ses trois filles passe l'embrasser. La vie de famille et la production des pains s’entrecroisent et s’harmonisent depuis que Magali Braja a obtenu en 2020 son CAP boulanger, passé en candidat libre au Campus de Groisy.
“Faire un pain à soi”
Originaire d’Île-de-France, cette trentenaire était précédemment ingénieure en architecture du paysage. Elle aménageait les espaces extérieurs pour des particuliers et des architectes. « En tant qu’architecte paysagiste, on étudie beaucoup les paysages, qui sont en grande partie façonnés par les paysans. Je me suis donc intéressée à l’agriculture, et les céréales m’ont passionnée. Je sentais qu’il y avait quelque chose d’essentiel et d’universel dans l’alimentation, les blés et le pain », explique-t-elle d’une voix posée.
Le changement de vie décidé, cette autodidacte apprend son nouveau métier de boulangère auprès d’autres passionnés haut-savoyards. Tous lui montrent comment travailler en fermentation longue des farines de meule avec du levain naturel : Daniel Baratier à Annecy-le-Vieux, Paul Rochet du Fournil des Eparis, Pascal Grouleau à Sixt-Fer-à-Cheval.
Anthony Ménard, boulanger à Saint-Pierre-en-Faucigny, est quant à lui devenu son ange gardien. Magali reproduit les gestes et les recettes, jusqu’à comprendre que « faire comme lui » ne marche pas. « J’ai effectué de très nombreux essais, plus ou moins réussis. C’est tout l’intérêt ! Je suis maintenant convaincue qu’il faut faire un pain à soi, et lui transmettre énormément d’énergie. Je suis très concentrée, et souvent épuisée à la fin d’une fournée », confie-t-elle.
Assemblages de farines
Seule au fournil, l’artisane a commencé par pétrir son pain à la main et par le cuire dans un petit four à bois. Aujourd’hui, elle dispose d’un pétrin, d’un four Guyon, et produit entre 100 et 150 kilos hebdomadaires de pains d’un kilo pièce : «J’en propose de trois sortes : un pain semi-complet, un petit épeautre et blé, et un pain qui change chaque semaine, ce qui me permet de continuer à faire des tests de recettes ». La boulangère alterne la fabrication de brioches au levain et de pains au lait pour compléter. Cet hiver, elle propose aussi un pain d’épices au miel de Provence et levain.
Quelque 85 % des farines qu’elle utilise proviennent de fermes de paysans meuniers de Haute-Savoie. Elle fait ses propres assemblages : «Les blés modernes donnent de l’aération et les blés de population vont apporter de l’onctuosité et des arômes. Les farines moulues sur meule de pierre (moulins Astrié) qui conservent les germes de blé sans les chauffer. La présence des enzymes permet de digérer le gluten, ce qui améliore la digestibilité. » Magali a remarqué que ces farines de meule se lissent toutes seules : « Ça pousse en bac, ça fait son travail. Le lendemain, on fait deux rabats et c’est tout ».
Produire ses propres blés
Grâce au bouche-à-oreille, une clientèle sensibilisée à la qualité nutritionnelle du pain est venue vers elle. Le fournil du Chêne Vert vend les mardis et les vendredis après-midi. Elle se rend depuis 2020 au marché de Reignier-Ésery le samedi matin, et ses clients lui sont fidèles. Ceux qui ne la connaissent pas encore sont surpris : « C’est vous qui faites le pain ? Ah ben bravo, félicitations ! »
Comme Magali Braja aime faire venir du monde « pour qu’il y ait de la vie », elle invite ses voisins maraîchers à proposer leurs légumes à la vente au fournil le vendredi. Elle envisage de mettre en place des ateliers pain, comme elle en a déjà organisé dans une école primaire, en apportant de la farine et du levain. L’artisane a aussi planté un hectare de blés de population chez un voisin. Elle garde en tête de devenir un jour paysanne boulangère. Chaque chose en son temps.