Samedi 20 juillet, sept jours avant le coup d’envoi des JO. Rendez-vous est pris non loin du village olympique, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), avec Tony Doré, le boulanger en chef du lieu, qui vit une « aventure incroyable ». Il est sur place depuis trois jours.
Tout a commencé lorsqu’il a été question d’installer un éventuel fournil au sein du village olympique, et ainsi « faire la promotion des céréales françaises », explique l’artisan de 34 ans.
« Sodexo [qui a remporté l’appel d’offres pour la restauration des Jeux olympiques, NDLR] a demandé aux équipes d’Intercéréales si elles connaissaient une personne qui pourrait s’occuper d’un tel projet. Elles ont proposé mon nom, et c’est assez amusant puisque la personne en charge du grab and go [vente à emporter en anglais, NDLR] durant les Jeux, Stéphane Chicheri, avait déjà travaillé avec moi. Il a tout de suite dit oui», précise Tony Doré.
Mais il ne sera pas seul. Pour l’épauler, le professionnel s’est entouré de spécialistes, formateurs ou boulangers, avec «plus de vingt ans d’expérience », souligne-t-il. «Cette fois, je n’ai pas pris de petits jeunes, admet-il, car l’enjeu est important.» Pour vivre ces premiers jours « extraordinaires », il a invité à ses côtés Clément Nilles, qui travaille pour la société Lesaffre. Ce dernier a accepté sans hésiter.

L’installation de la boulangerie au sein du village olympique est aussi une manière de montrer le savoir-faire français, avec la baguette entrée au patrimoine immatériel de l’Unesco en 2022. Et malgré son expertise, Tony Doré craignait « de ne pas être à la hauteur ». Et d’ajouter : « Je connais mes compétences, ma capacité à mettre en place un fournil, mais là, la configuration est vraiment atypique. Nous sommes dans deux conteneurs, en plein été. Le point que j’appréhendais le plus concernait l’absence de refroidisseur d’eau », soulève l’artisan.
« On se débrouille avec des moyens plus sommaires, ajoute Clément Nilles. On règle une chambre de fermentation à – 2 °C. J’y ai stocké dix-huit litres d’eau ce soir, que je mettrai demain dans mon pétrin, ce qui permettra à ma pâte, après pétrissage, de ne pas être au-dessus de 22 °C. Ce qui entraînerait un problème de fermentation avec ma levure ! complète Tony Doré. La boulangerie, ça reste difficile, et même quand on la maîtrise, il faut rester humble, faire les choses avec sécurité ; et ensuite, on peut s’amuser », rappelle-t-il. Un conseil qu’il donne aussi aux jeunes apprentis, qui « veulent parfois brûler les étapes ».
Un vrai marathon au fournil olympique
« Après trois jours sur place, on est en pleine maîtrise ; le défi est bien lancé, on n’a que des remerciements », se réjouissent les deux hommes. Toutes les semaines, un boulanger viendra rejoindre Tony Doré et ainsi former un nouveau binôme. Un marathon de près de deux mois jusqu’à la fin de Jeux paralympiques (JP). Le boulanger en chef terminera l’aventure avec Patrick Arnoud, formateur au centre de formation d’apprentis de Toulon. « Je n’ai pas de jour de repos, je serai constamment là. Ma politique de travail : garantir à mes clients une régularité de qualité du produit durant toute la période. »
Concernant les horaires, le duo est au labo dès 6 heures du matin jusqu’à 18 h 30-19 heures, avec un objectif : fabriquer mille baguettes par jour d’ici au début des Jeux. Pour l’heure, ils en font la moitié. « Ça fait de longues journées, c’est pourquoi j’ai dit à mes gars, commencez et terminez à l’heure que vous voulez », déclare l’artisan. Toutefois, aucun ne souhaite écourter la chance de participer à ce moment historique. « Personne n’est forcé mais on vit tout de même un moment inoubliable. On crée des souvenirs, des rencontres », réagit Clément Nilles.
Tels les porte-drapeaux de leurs pays, « nous sommes là pour représenter les boulangers français, toute la filière, et pas uniquement l’artisanat. Il ne faut pas oublier toutes les personnes qui travaillent en amont : les agriculteurs, les meuniers, ceux qui stockent les céréales. Sans cela, sans eux, on n’aurait pas une régularité de farine et des produits renommés », soutient Tony Doré. « On ne fait qu’embellir le travail de milliers de personnes en amont », ajoute Clément Nilles.
Pour tenir la cadence, et être sur le front quasiment non-stop jusqu’au 8 septembre – avec une pause de huit jours entre la fin des JO et le début des JP -, le boulanger en chef n’a pas suivi un entraînement physique particulier, notamment en raison d’« un emploi du temps très chargé ». Pourtant, le sport ne lui est pas étranger, bien au contraire.
De jeune triathlète à champion du pétrin
Au village olympique, Tony Doré est dans son élément. Car si le Chartrain d’origine mouille le maillot au labo, dans une précédente vie, il le faisait en tant que triathlète - notamment en cyclisme, son sport de prédilection. En effet, avant de mettre la main à la pâte, il se prédestinait à une carrière de sportif. « J’étais en filière général spécialité ES [économique et social, NDLR], en sport-étude triathlon », lance celui qui était aussi en équipe de France. « D’ailleurs, c’est assez amusant car les triathlètes résident au village olympique, ce qui n’est pas le cas de tous les participants. »
Comment passe-t-on des entraînements de natation, de course et de vélo… au fournil ? « Plus jeune, j’ai découvert la pâtisserie auprès du compagnon de ma grand-mère. C’était un ancien pâtissier parisien. On a commencé chez lui, à faire des mini-éclairs et des tartes dans sa cuisine. J’ai eu le déclic. » Cela se confirme quelques années plus tard, alors qu’il est en première. « J’ai fait un stage chez mon oncle boulanger. »
C’est décidé, c’est qu’il veut faire, malgré son amour pour le sport. « À seize ans, j'ai donc commencé l’apprentissage chez lui. Et il ne m’a pas fait pas de cadeaux ! » Une exigence qui paiera. « Après deux années passées chez mon oncle, j’étais le meilleur apprenti d’Eure-et-Loir en boulangerie. Par la suite, j’ai gagné plusieurs concours : je suis allé jusqu’au Meilleur ouvrier de France, où j’ai atteint la finale en 2018. »
Entretemps, durant trois ans, il tient deux boutiques en gérance à Paris (dans le 15e et le 18e) qui « seront vendues après le covid, malgré de bons chiffres ». Il décide alors de se lancer à son compte. « Je ne regrette absolument pas ! Ce n’est que du bonheur de partager, de transmettre. J’aime la pédagogie ! » conclut l’artisan.