Les mécanismes du vivant sont passionnants. C’est du moins l’avis de Maye Lepoutre. Hier, elle étudiait la biologie végétale au Mexique, son pays natal. Aujourd’hui à la tête de deux boulangeries à Lyon, sa ville d’adoption, elle confie sa fascination pour l’univers de la fermentation.
« C’est fou qu’un simple mélange de farine, d’eau, de sel et une petite boule de levain développe de gros pains avec des arômes incroyables », s’enthousiasme la fondatrice de Bonomia et de Cocol. Son bagage scientifique l’éclaire sans doute sur les mécanismes à l’œuvre. « Cela me pousse surtout à me questionner toujours plus, sourit-elle. Je vois qu’une petite variation de température ou d’ambiance peut tout changer. Nos deux boulangeries sont éloignées de sept cents mètres : les levains ne poussent pas pareil dans les deux, et leurs pains n’ont pas le même goût ! »
La boulangère a d’abord été pâtissière. Après un master Biologie végétale, elle a bifurqué vers un métier plus concret pour assouvir une passion et vivre du travail de ses mains. Son CAP pâtisserie en poche, elle exercera pendant sept ans. Jusque-là, la façon dont elle voit fabriquer le pain, à base de farines raffinées et de mixes, ne l’attire pas.
La boulangerie : « Un acte social et politique »
C’est grâce à une petite boulangerie de campagne, dans un village au nom depuis oublié, que Maye a une révélation ; surtout grâce à une grosse miche au levain qui, dès les premières bouchées, lui fait redécouvrir le pain. « C’était un plein de saveurs, avec une petite pointe d’acidité, et ça ne donnait pas mal au ventre, se souvient-elle. J’ai eu un déclic : je voulais faire ça ! »
Elle cherche aussitôt à apprendre la boulangerie au levain et intègre l’École internationale de boulangerie, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Suivra l’ouverture de sa boulangerie, Bonomia, au printemps 2022, dans les pentes de la Croix-Rousse à Lyon (1er arr.). « Ce n’est pas que l’amour du pain au levain : c’est un acte social et politique, assume celle dont la devise est Pan es amor*. J’ai envie que les gens soient bien nourris. Et j’ai la chance d’être en France, où l’on trouve plein de farines de qualité, produites par des gens ultra-investis : je crois qu’il est de mon devoir de boulangère de les soutenir. »
La boulangerie 100 % bio et au levain naturel propose des pains à la coupe à base de farines T80 ou plus (de blé, seigle, khorasan, petit épeautre ou autre), écrasées sur meules de pierre. Certains sont agrémentés de graines, flocons d’avoine, olives, noix-noisettes… Quatre levains sont utilisés : blé, seigle, petit épeautre et levain de panettone. Les fermentations durent de douze à quarante-huit heures.
L’approvisionnement en circuit court est la règle. « Acheter en direct aux producteurs prend du temps mais le lien qui se crée est super, témoigne Maye, qui en assume les inconvénients. Il est arrivé qu’un paysan-meunier n’ait pas pu récolter ses céréales dans de bonnes conditions : la farine était moins pure et beaucoup plus difficile à travailler. C’est un risque que je dois accepter et expliquer aux clients, sachant que la plupart du temps leur farine est de qualité et qu’ils l’adorent ! »
De la pédagogie boulangère en boutique
Cette dimension pédagogique est fondamentale à Bonomia. Il faut expliquer pourquoi les pains peuvent être un peu plus plats en début de semaine parce qu’il y a eu deux jours de fermentation en chambre. Expliciter aussi les prix, qui démarrent à 6 €/kg, si les clients les trouvent élevés. « Ils s’expliquent par le bio, mais aussi le soutien à l’agriculture locale, le travail manuel, la fabrication cent pour cent levain naturel ; le choix de certaines farines plus coûteuses, comme celle de blés de population… argumente Maye. C’est un noble métier — que j’adore — de fabriquer de ses mains quelque chose qui sera mangé par d’autres. Mais il faut que les gens sachent les efforts qu’il y a derrière ! »
Dans un quartier très fréquenté, où beaucoup d’habitants sont sensibles aux enjeux environnementaux et de santé, la gamme courte et rustique de Bonomia est bien acceptée. Et les quelques déçus de l’absence de croissants se consolent vite avec les brioches aux pralines. Pourtant, Maye n’a rien contre les viennoiseries : c’est même pour en faire qu’elle s’est mise en quête d’un second local, faute d’espace suffisant à Bonomia.
Avec son mari Louis, qui l’a rejointe dans l’aventure, ils en ont trouvé un à quelques encablures de Bonomia, effectué de gros travaux ; et ouvert à la rentrée 2024 la boulangerie Cocol, du nom d’un petit pain mexicain sucré.
Et parce que le local était assez grand et qu’il y avait une demande dans le quartier (notamment grâce à la présence d’un lycée), Cocol propose aussi une gamme salée et un espace cafétéria. La boulangère et son équipe se font plaisir avec une gamme plus étoffée — et toujours 100 % maison. À côté des pains bio 100 % levain naturel, on y trouve des baguettes tradition, des viennoiseries pur beurre ; et une offre snacking avec différentes bases de sandwichs (baguette, pain de campagne, pain de mie, focaccia, croissant salé, etc.) et des garnitures allant du simple jambon (à la coupe) et beurre aux préparations cuisinées (poulet-houmous, par exemple).
L’objectif ne change pas : « Que les clients mangent bien, insiste la boulangère. Mais il est aussi important que les membres de mon équipe se sentent bien. C’est un métier physique, dur, donc on essaie de leur éviter trop de fatigue. À Bonomia, on embauche à 6, 7 ou 9 heures. À Cocol, la personne qui cuit embauche à 4 heures mais on effectue une rotation tous les mois. Nous faisons aussi tourner les salariés sur les postes pour leur éviter de s’ennuyer. Et, afin que personne ne soit frustré, on écoute leurs idées et on les associe souvent aux décisions. » C’est d’ailleurs pour ses employés que Maye a volontiers accepté que Bonomia participe à l’émission La Meilleure Boulangerie de France, sur M6. « C’était un challenge à relever ensemble : il n’y a pas eu de retombées commerciales mais cela a renforcé notre cohésion », témoigne-t-elle. C’est aussi pour ses salariés qu’elle a décliné lorsqu’elle a été de nouveau contactée, cette fois pour Cocol. Quelques mois après l’ouverture, cela aurait mis trop de pression à une équipe pas encore rodée.
* “Le pain est amour”, en espagnol.