(Cette note a été transmise au Ministère d'Olivia Grégoire)
Quatre observateurs ont été invités à participer au groupe de réflexion afin d’apporter un éclairage extérieur supplémentaire. L’objectif de la journée était de prendre du recul sur la conjoncture, d’éclaircir la situation des artisans boulangers quant aux difficultés qu’ils rencontrent, de remettre en question les fonctionnements et les pratiques et d’envisager deux types de solutions : des solutions applicables au plus vite sans frais et d’autres, plus engageantes, allant de l’investissement à la réorganisation de l’entreprise. Les propositions d’aides complémentaires de l’État sont listées en fin de document.
Présents :
Experts : Emmanuel Delatte (Chief Data Officer TPE PME chez Engie), Fabrice Guéry (directeur de la recherche et du développement pour Les Moulins Associés), Jérôme Herbette (représentant de la société Bourmaud et Bongard), Benjamin Marchand (expert-comptable ComptaCom Nantes), Élise Bouvet, architecte designer pour B.Concept et de Camille Royer, experte merchandising pour Ciamciam, Guillaume Philipson (CEO Otami), Nicolas Sieller (CEO Synapsy).
Artisans: Laurent Maeseele à la tête de trois établissements le KB et le Fournil d’Armorique, Aurélie Le Gouallec : Maison Le Gouallec, Aude Le Mat : A&B Le Mat, Virginie et Jérémy Jolaine : Le Fournil du Parc, Antoine Leveque : Au Vieux Dol, Audrey et Steve Monneret : Pense au Pain, Aurélien Allaizeau : Au Pain Daure, Fréderic Martin : Aux Délices Châtillonnais.
Observateurs: Marie Clidiere (directrice de l'Atelier M'alice), Louis-François Paulin-Thiollier (business coach et représentant de l'association Pain partagé), David Arnaud (auditeur et certificateur pour Certipaq bio) et Lê Thi Mai Allafort (rédactrice en chef de La Toque Magazine), Anne Poirier N’Guyen (directrice marketing pour Les Moulins Associés)
Organisateur : Lionel Broilliard (responsable du réseau Artisan Boulanger Convaincu et de la digitalisation pour Les Moulins Associés)
1- LES POINTS CRITIQUES
Le constat : les entreprises artisanales font face à des hausses de prix de l’énergie de +30% et jusqu’à des x10, des matières premières aux tarifs exponentiels, des aides inadaptées et un calendrier d’impact des contrats disparates. Dans une même ville, un même arrondissement, les contrats d’électricité, les installations, les gestions internes diffèrent. Quatre premiers experts ont soulevé les points suivants :
A. Est-ce que le contrat d’électricité choisi correspond aux besoins réels de l’entreprise ?
B. Est-ce que des recettes et des habitudes de production ne sont pas à faire évoluer pour optimiser et limiter l’usage d’équipements gourmands en énergie (les fours, les frigos et les congélateurs) ?
C. Est-ce que les équipements sont révisés et/ou suffisamment récents ?
D. Est-ce que l’artisan maîtrise son compte d’exploitation, ses factures, ses stocks, ses achats et ses coûts de revient ?
A. Besoins et consommation énergétique des établissements mal évalués :
Les contrats d’électricité (C5, C4, C3, C2, C1) sont parfois inadaptés aux besoins et à la consommation réelle, constate Emmanuel Delatte (Chief Data Officer TPE PME chez Engie). Ils sont pour la plupart certainement C4, mais des artisans ne connaissent même pas la puissance de leur compteur, d’où le dépassement des seuils d’écrêtage engendrant des coûts qu’ils ne comprennent pas toujours. Cette méconnaissance explique pourquoi les aides proposées par le gouvernement touchent peu et insuffisamment ces petites entreprises, dont les besoins énergétiques sont pourtant majeurs.
Solutions à mettre en place au plus vite :
- Réaliser une mesure des consommations
- Mieux connaître ses besoins : Engie propose un questionnaire en ligne pour les pros accessible ici https://pro.engie.fr/economies-energie/questionnaire
- Remplacer les équipements anciens pour repartir sur un contrat plus adapté
Points de vigilance :
- L’opacité des factures d’électricité qui résulte d’une mauvaise compréhension des coûts
- L’opacité des droits aux aides
- Méconnaissance du fonds Chaleur de l’Ademe
- Méconnaissance du droit aux remboursements de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) ou de la taxe intérieure de consommation du gaz naturel (TICGN)
B. Des business model (recettes, fabrication, organisation) à réviser :
L’histoire de la boulangerie, depuis sa mécanisation, a favorisé le travail au froid des pâtes : méthode qui se transmet et se répète par tradition. Fabrice Guéry, directeur de la recherche et du développement pour les Moulins Associés, a démontré ce jour-là à travers quatre productions de baguettes différentes (pointage graduel à 3°C et 7g de levure, à 6°C et 5g, 9°C à 3g et 12°C avec 1,5g de levure) qu’aucune différence majeure au niveau de la qualité des baguettes n’était à noter, mais une économie réalisée en termes d’énergie est notable si on réduit le travail au froid. Privilégier le direct, la fermentation et la fabrication au levain conduit à une réduction d’usage des équipements consommateurs d’énergie (usage modéré des frigos corrélé à une cuisson différente de pâtons moins frais) soit 5 à 10% d’économie d’énergie sans dégrader l’offre.
Solutions à mettre en place au plus vite :
- Tester de nouvelles recettes (davantage de direct et de travail de fermentation) en vue de réduire l’usage des équipements consommateurs d’énergie
- Eviter la cuisson de produits congelés
- Envisager la réexploitation des invendus et développer de nouvelles recettes à partir des chutes et des restes
- Exploiter la chaleur tombante des fours au moment de les éteindre
- Éteindre les équipements non utilisés
Points d’attention :
- Une organisation du travail facilitée par la programmation de la mise en route des appareils avant l’arrivée des boulangers engendrera des modifications des horaires
- Risque lié au fait de changer ses recettes, de changer les horaires de cuisson et de perdre sa clientèle
- Enjeux d’hygiène incontournables
C. Des équipements optimisés au service de l’artisan et de l’artisanat :
Les équipements modernes bénéficient d’une optimisation incontestable de l’énergie. Jérôme Herbette, représentant de la société Bourmaud et Bongard, a présenté plusieurs solutions pour les artisans. Là où un four historique a une valeur sentimentale, son fonctionnement énergivore peut être à déplorer (Four Orion EvO est à 58.630 kWh versus 76k pour un four construit il y a 30 ans). Les équipements les plus anciens sont-ils révisés, et ne peuvent-ils pas être remplacés ?
Solutions à mettre en place au plus vite :
- Réviser son matériel
- Changer d’équipement pour un plus récent, pour plus d’automatisation (sans mettre en péril la nature de l’artisanat)
- Recherches et développement autour de la chaleur fatale : évaluation du potentiel à réaliser auprès de l’Ademe
Points d’attention :
- L’option fours solaires, fours à bois a été partiellement abordée : les premiers sont à la marge (Neo Loco, en Normandie, Fournil Bio, dans le Nord), les second sont soumis à une réglementation liée aux particules fines
- Aide souhaitable au renouvellement de l’équipement (paiement différé, méconnaissance des aides de la Carsat par les artisans)
- Repenser au niveau global la distribution et la récupération de l’énergie au cœur des villes (plan de rénovation énergétique urgent)
D. La gestion de la comptabilité, des frais et des coûts :
La maîtrise globale de son compte d’exploitation, de la répartition des coûts à l’optimisation des marges, n’est parfois pas suffisamment suivie. Benjamin Marchand, expert-comptable, a posé une moyenne des ratios d’une boulangerie artisanale : un chiffre d’affaires moyen de 450 k€ dont le taux de marge est de 69%, les matières premières représentent environ 30% des coûts, la masse salariale environ 45% (dirigeant compris), le coût énergie/consommables 6% et les charges externes, 15%. Le point noir : 86% des coûts sont des postes sensibles (matières premières, énergie, charges externes, masse salariale). Ici il s’agit d’une révision majeure de la gestion d’entreprise.
Solutions à mettre en place au plus vite :
- Reprendre la maîtrise des coûts : achats, marges, coûts de revient
- Optimiser tous les postes sensibles (de la gestion des plannings à l’organisation de l’entreprise, des stocks et des coûts de revient)
Points d’attention :
- Les aides de l’état sont insuffisantes pour des commerces qui essuient des hausses assommantes aux postes fondamentaux de leur entreprise (x10 pour le poste énergie, ce qui plombe inévitablement un compte d’exploitation accusant déjà les coûts en hausse du prix des matières premières)
- L’investissement dans des solutions logicielles de gestion de caisses et de comptes (Synapsy ou Otami, présents ce jour pour présenter des assistants numériques métiers)
- Se familiariser avec la data, le merchandising, le marketing, en s’appuyant sur les services d’experts
Au niveau individuel, chaque artisan peut reprendre le contrôle de son entreprise en vérifiant tous les points non optimisés, les pertes, les méthodes contre-productives. Toutefois, des frais sont à engager à terme, ce qui peut être intimidant en cette période de tensions. Du côté des prestataires de services, des élus et de l’État, la première attente relève de la simplification des informations, la seconde d’un apport de pédagogie dans la gestion d’entreprise, la troisième de mise en place de stratégies globales pour une distribution et une récupération de l’énergie favorables aux organisations.
2- LES STRATÉGIES POSSIBLES
Il est clair que le principe de Pareto s’est imposé ce jour-là, à savoir qu’en challengeant 20% des causes, 80% d’effets pourront en découler. La meilleure connaissance du fonctionnement de son entreprise est un prérequis pour lequel l’artisan doit être accompagné par un maximum d’informations mais également de pédagogie, le digital n’étant pas complètement généralisé dans les entreprises artisanales. À partir de ces changements d’orientation éventuels et de la remise en question de pratiques considérées comme étant indiscutables et inhérentes à la tradition, les quatre autres experts ont présenté des solutions plus tertiaires aux artisans.
A. La digitalisation du back-office
B. Les fondamentaux du merchandising
A. La digitalisation du back-office :
Les équipements d’encaissement se sont améliorés ces dernières années et de nouveaux logiciels viennent compléter le service à l’artisan. Deux solutions ont été présentées ce jour : Synapsy, une caisse intelligente dotée d’un tableau de bord pour gérer le développement de son chiffre d'affaires ; et Otami, présentée par son CEO, Guillaume Philipson, caractérisée comme “un assistant numérique métier” permettant de maîtriser ses achats et ses coûts de revient. En présentant la gestion et les calculs délégués à un logiciel associé comme solution pour faciliter la vie de l’artisan, Nicolas Sieller, dirigeant de Synapsy, a pris soin de poser le mot de data, auquel les artisans vont devoir se familiariser. De la gestion du planning des salariés, aux calculs des coûts et à l’optimisation des marges, les artisans présents qui ont signé pour cette solution sont unanimes et affirment : « Je ne pourrai plus revenir en arrière ! » Côté Otami, grâce au contrôle des factures, c’est la facilitation du travail d’un comptable humain qui est à la clé. L’accès sans limite à ses tarifs, une vision précise des volumes d’achat, la gestion du passage des commandes et des inventaires apporte une meilleure visibilité macro comme micro côté artisan. Mieux piloter ses coûts via un logiciel doté d’une interface la plus pratique, exploitable et interprétable possibles aidera à endiguer toutes failles ou faiblesses susceptible de ne pas être visibles pour l’artisan, seul face à trop d’administratif.
Solutions à mettre en place au plus vite :
- Reprendre sa comptabilité avec son comptable et évaluer l’amortissement d’une solution de gestion logicielle
- Se familiariser à la synthèse des data de son entreprise
- Optimiser l’utilisation d’Excel à défaut de toutes autres solutions de gestion
- Améliorer ses pratiques de gestion (inventaires, gestion des coûts, etc.)
- Se faire accompagner par des sociétés expertes (Artisan Boulanger Convaincu, Rivalis, etc.)
Points de vigilance :
- Quid de l’usage d’Excel par les artisans ?
- Pédagogie pour se familiariser au digital et à la data
- Un investissement financier
- Une connaissance réelle du métier par les sociétés expertes
B. Marketing, communication et expérience client à l’épreuve :
L’intervention d’Élise Bouvet, architecte designer pour B.Concept et de Camille Royer, experte merchandising pour Ciamciam, ont rappelé que la communication est incontournable aujourd’hui pour faire connaître son entreprise. En termes d’optimisation, une circulation de la clientèle optimisée et une identité forte et mémorable sont préconisées en boutique. Pour bien communiquer, sont nécessaires : une connaissance de sa clientèle (flux, besoins, attentes), de sa zone de chalandise (offre concurrente, services à proposer), et l’optimisation de l’aménagement de ses linéaires en fonction des résultats de calculs de sensibilité pourcentage de marge d’un produit divisé par la surface de vente). Pour les profils artisanaux les plus traditionnels il s’agit d’un challenge que d’optimiser la mise en valeur du savoir-faire par des techniques stratégiques éloignées de la fabrication pure. L’allègement de la masse salariale a été challengé par un modèle vendéen de boulangerie en libre-service, qui remet toutefois d’actualité le sujet de l’hygiène si l’ensachage et le conditionnement sont délégués à la clientèle.
Solutions à mettre en place au plus vite :
- Connaître et optimiser ses marges, stopper la fabrication de produits à faible valeur
- Réaliser le calcul d’indice de sensibilité de ses produits : les produits à la plus forte marge doivent stratégiquement être présentés au bon moment et au bon endroit lors du flux de clients
- Envisager des services complémentaires en boulangerie par un aménagement de l’espace plus en phase avec les attentes actuelles
Points de vigilance :
- Un investissement financier si l’artisan se fait accompagner par un expert (du merchandising, architecte d’intérieur)
- La surface morte corrélée aux coûts en hausse de l’immobilier et des matériaux (+15 à 20% pour les frais de travaux) n’est pas rentable.
- Prérequis :
une entreprise qui maîtrise ses coûts
du temps à consacrer à de la stratégie de vente, à la recherche de tendances, d’inspiration, etc.
Points non abordés :
A. Les ressources humaines (tensions sur les recrutements et le niveau d’expertise des profils #formation)
B. La phygitalisation (gestion des commandes en ligne, par exemple, ou encore les modes de vente permettant aux clients d’être autonomes)
À venir lors de prochaines réunions.
Conclusion :
Ce qui peut être optimisé immédiatement par la simple diffusion de bonnes pratiques auprès des artisans :
- Des artisans qui peuvent remettre en question des pratiques traditionnelles liées à une époque où l’énergie et les matières premières étaient peu chères par une optimisation des méthodes trop gourmandes en énergie et à travers un renouvellement de son installation d’équipements.
- La révision de son équipement et de sa consommation énergétique au prorata de l’optimisation de l’organisation et de la production préalablement réalisées.
- Les recettes peuvent être optimisées pour s’émanciper des équipements, à la condition cependant de présenter une offre différente à une clientèle qui aime la régularité, l'achalandage et la variété.
Accompagnements déjà mis en œuvre par l’État :
- Budget de dix milliards d'euros annoncé par le gouvernement réparti entre les TPE, PME et ETI
- Un bouclier tarifaire et un guichet automatique d’aides réparties pour les différents profils d’entreprises
- Aides régionales (Carsat)
Mais :
Accompagnements complémentaires indispensables à mettre en œuvre à court terme par l’État :
- Un besoin d’informations plus claires est exprimé de la part des prestataires de service comme d’informations liées aux aides de l’État plus transparentes, qui favorisent la compréhension et l’accompagnement.
- Aujourd’hui, l’offre d’équipements relève davantage de l’automatisation de gestes artisanaux que de réponses à la problématique environnementale liée à un usage raisonné et responsable de l’énergie, particulièrement importante dans ce secteur de métiers : est attendu un investissement en Recherche & Développement pour des optimisations de distribution et de récupération d’énergie fatale (quid du fonds Chaleur et de l’accompagnement de Ademe)
- Un accompagnement à la transformation digitale serait également salutaire pour des artisans qui fabriquent autant qu’ils gèrent une entreprise.
- Une coordination renforcée entre tous les maillons de la chaîne de valeur (de l’agriculteur au meunier vers le boulanger).
- Une législation plus stricte quant au devoir de distinguer à la vente une production artisanale (le croissant, par exemple, qui nécessite deux jours de travail et l’expertise métier d’un tourier) d’une production industrielle décongelée : la fabrication artisanale doit être protégée en particulier depuis l’inscription de la baguette au patrimoine immatériel de l’Unesco.
Retrouvez des ressources et des informations sur ce Notion, réalisé par Lionel Broilliar (il suffit de s'inscrire pour accéder aux contenus) : https://vu.fr/hYqZ