« Au port de Dunkerque, à la mi-septembre, il n’y a aucun chargement de céréales. C’est le calme plat, résume Jean-Marc Thomas, directeur France de Rhenus PartnerShip France, entreprise spécialisée dans le transport. Chacun reste assis, prudent, sur son tas de blé. » Car en cette fin d’été, tous les acteurs de la filière sont dans l’expectative : quelles seront les conséquences de cette médiocre récolte de blé tendre ? Agriculteurs producteurs, organismes stockeurs, meuniers, industriels de l’agroalimentaire, traders… tout le monde tend le dos. Ce, alors que les cours ne semblent pas impactés par le résultat France, les volumes étant suffisants pour répondre à la demande mondiale (lire encadré).
Les chiffres ont été confirmés fin août par le ministère de l’Agriculture : en 2024, la production de blé tendre de l’Hexagone tournera autour de 26 millions de tonnes (Mt). L’une des plus faibles récoltes des quarante dernières années, en tout cas en baisse de 24 % par rapport à la moyenne des cinq dernières. Une chute qui s’explique par les précipitations excessives tout au long de l’année culturale ayant perturbé semis, interventions au champ, développement des cultures, ainsi que les chantiers de récolte.
À la perte de rendement final s’est ajouté un recul des surfaces cultivées. L’automne pluvieux a gâté les semis, entraînant une baisse de la sole en blé tendre de 11 % par rapport à 2023. Les semis se sont étalés sur plusieurs mois, parfois jusqu’en décembre, compromettant déjà le potentiel en termes de rendement. Agreste — service statistique du ministère de l’Agriculture — annonce ainsi une moyenne estimée de 62,4 q/ha. Inférieur de 15,5 % à celui de 2023, ce rendement place 2024 parmi les trois plus petites récoltes de blé tendre des quarante dernières années.
Pour ce qui est de la qualité, le principal souci des organismes stockeurs (OS), des coopératives et des négoces, était le poids spécifique. Un poids qui conditionne la valorisation en blé meunier. Certains OS ont réussi à sauver une bonne part de leur collecte lorsque le gros de la moisson a été réalisé avant les pluies de fin juillet ; d’autres vont devoir en déclasser une partie en blés fourragers.
La teneur en protéines conditionne également la valorisation. Les analyses dans les silos sont encore en cours. Dans tous les cas, un important travail de tri est à effectuer afin de répondre aux exigences des contrats meuniers. Sur le plan sanitaire, les organismes techniques craignaient le développement de la fusariose, et donc des mycotoxines, en raison toujours des fortes pluies et des difficultés à traiter dans ces conditions. Des craintes qui, d’après les retours des silos, semblent infondées.
L’export pénalisé
La filière céréalière va donc connaître une fin d’année 2024 et un premier semestre 2025 difficiles. Les OS, tout d’abord, vont devoir composer avec une période compliquée car qui dit moins de volumes dit moins de marges tandis que les frais de stockage restent les mêmes. Les conséquences financières chez les producteurs de blé tendre vont également être lourdes, alors que les prix sont bas (lire encadré). L’année 2023 avait déjà été difficile, 2024 sera pire.
Dans la Meuse, par exemple, gros département céréalier, la profession agricole a effectué fin août un point de situation à partir du cas d’une exploitation de 210 ha, la moyenne départementale. Les agriculteurs ont présenté leurs premiers résultats, estimant la baisse de leur chiffre d’affaires pour la récolte 2024 à 42 000 €, soit 200 €/ha. Les premières évaluations donnent, pour le département, des pertes s’étalant de 150 à 500 €/ha.
Toutefois, d’après les spécialistes des marchés, la faible récolte française de blé (et d’orge) sera suffisante pour approvisionner les industries de l’alimentation humaine et animale au niveau hexagonal. Celles-ci devraient transformer des quantités de grains comparables à celles des années précédentes. Sur le marché européen, les pays frontaliers sont assurés d’acheter les quantités de grains habituelles. Soit 6,3 Mt. En revanche, la filière export vers les pays tiers sera plus impactée : la France exporterait à peine 4 Mt de blé en dehors de l’Union européenne. Soit 60 % de moins que lors d’une année moyenne. Le solde commercial extérieur agricole et agroalimentaire français en pâtira nettement.