Quand vous avez une idée en laquelle vous croyez sans aucun doute, vous savez qu’elle est bonne lorsque tout le chemin pour la rendre réelle est finalement fluide : c’est ce qui s’est passé pour la naissance de la boulangerie de quartier Le Bricheton, dans le XXe arrondissement de Paris.
Le design de la façade a été réalisé par un ami, Jordane Saget. L. Allafort
Au-delà d’une approche atypique d’un lieu qui ne porte ni le nom ni les certifications bio ou Nature et Progrès, ni les horaires, ni les volumes, ni les classiques de la gamme d’une boulangerie traditionnelle, les habitants du quartier viennent acheter leur pain de la semaine, un pain au levain au prix de 9 € le kg, offre raisonnable à Paris. Maxime Bussy est un reconverti dont on a oublié le profil tant il a la légitimité sur la qualité du pain bien fait. Les médias ont joué un rôle, il le reconnaît : « Quand la presse s’est intéressée à la boulangerie, ça a été quatre mois de frénésie et d’intérêt pour la boutique. » Mais passé ce coup de projecteur, le challenge était là : satisfaire une clientèle d’un quartier populaire avec une offre pas commune. Et rien n’est finalement traditionnel dans l’histoire du Bricheton. Maxime s’est lancé dans un CAP boulangerie avec le projet de s’installer à Mexico, mais il s’est régalé durant son stage en restauration. Puis, un jour, le chef du Passage —rappelons qu’il y a dix ans, la bistronomie prenait son essor avec ces nouvelles exigences en termes de démarche filière, sourcing de bons produits, rapprochement avec les producteurs, sélection de quilles de vins nature — lui a demandé de faire le pain pour le restaurant. « Quel pain ? », s’est interrogé Maxime, alors refroidi par l’apprentissage monotâche et mécanisé de sa formation en boulangerie. Débute alors pour lui un petit « compagnonnage » pour aller au plus près d’une démarche qui travaille avec le moins d’intervention tierce dans la fabrication du produit, des matières premières nobles, une philosophie de sens, celle qu’il recherchait au moment d’opter pour la reconversion professionnelle. C’est auprès de Charles Poilly, paysan-boulanger dans le Lot-et-Garonne, qu’il aborde enfin le pain dans la démystification du métier de boulanger, rassemblant enfin les parties d’un tout qui donnent à la fin bien plus que la somme de ce qui le compose.
Pour sa reconversion professionnelle, Maxime s’est lancé dans une démarche de démystification du métier. D.R.
Guilhem, de formation pâtissière, a rejoint le Bricheton il y a six ans. L. Allafort
Amener ce modèle paysan-boulanger à la ville
Une opportunité dans le XXe arrondissement permet d’affiner le projet de création du laboratoire qui lui permettrait de fournir les restaurants ; l’appartement du dessus se libère, puis les riverains s’intéressent à ce qu’il fait et l’incitent à ouvrir le lieu en tant que boutique. Par souci d’économie et dans une forme de pacte avec lui-même, il installe deux tréteaux, pas de frigo, il est seul à fabriquer, il n’a pas d’autre choix que de faire du direct et donc d’ouvrir 3 heures par jour, 3 jours par semaine. « C’est le prix pour faire un pain qui se garde, qui redonne vie à ce pain paysan que mon grand-père mangeait en quantité et qui me permet d’expliquer aux clients ma démarche. » Bonne recette puisqu’il y a six ans, il fallait sous-titrer ce que sont les farines paysannes, le levain, le pétrissage à la main, l’eau des puits artésiens, et peut-être la jolie histoire de son fournisseur de sel qui, un peu à son image, était un trentenaire qui avait l’idée de reprendre un marais salant, la Salorge-de-la-Vertonne, à L’Île-d’Olonne (Vendée), une opportunité saisie au gré d’une conversation au bistrot. Sa démarche est militante, engagée puisqu’il est président de l’association Agroforesterie initiée par Agnès Sourisseau, pour la défense de la filière paysanne, et pourtant rien dans son discours n’est marketé. C’est facile pour Maxime parce qu’il a le plaisir d’exercer son métier selon sa vision de trouver la satisfaction dans une activité saine, et avec un rapport charnel à la matière dans la réalisation d’un produit qui a du sens et qui crée du lien.
Démarche inversée
Preuve en est que sa démarche n’a jamais été esthétique : elle est même tout l’inverse : « Comment faire un pain digeste, nourrissant et accessible à tous ? » Sa réponse : en optant pour des farines paysannes qu’il a vu grandir aux champs mêmes, auprès des agriculteurs : « C’est moi, le boulanger, qui dois m’adapter à la farine pour obtenir un pain qui respecte la fermentation. »
Pains au froment, aux graines, tourtes de seigle sont fait avec des farines sourcées personnellement par Maxime auprès de Cyrille Renault, Michel-Carol Patin, Henri de Pazzis, ferme du Chaillois, ferme de Vaux, ferme du Ravillon. L. Allafort
Il travaille avec un levain-souche de blé, plus difficile à exécuter qu’un levain de seigle : « Je ne voulais pas que tous mes pains soient typés, avec une réminiscence de seigle. » Son parti pris pour ne pas prétendre à des heures impressionnantes de fermentation (qui, chez d’autres, sont synonymes d’un blocage à froid systématique), c’est de mettre beaucoup de levain (40 %) avec un pointage de 15 heures à l’air libre — même si, depuis, un frigo est entré dans le labo —, il privilégie le direct.
Le labo du matin se transforme en boutique l’après-midi. L. Allafort
Les informations destinées aux boulangers sont bien visibles dans cette boulangerie atypique. L. Allafort
Si les clients souhaitent une baguette ou des croissants, le quartier est fourni en termes de boulangeries proposant une offre classique ; ceux qui viennent au Bricheton sont les habitués et les adeptes du modèle depuis l’ouverture.
Les pains du Bricheton, une offre courte qui privilégie des farines paysannes et bio. L. Allafort
Offre courte axée santé
On retrouve dans la boutique les différents pains qui mettent à l’honneur des farines de céréales de variétés paysannes et biologiques (rouge de Bordeaux, étoile de Choisy, barbu du Roussillon...), une fermentation au levain naturel, un pétrissage à la main et des produits nourris à l’eau des puits artésiens de Paris. On trouve aussi des kugelopfs (le mercredi) et des pâtisseries rustiques, ainsi qu’une épicerie improvisée de produits avec confitures, miels, tisanes en soutien d’Agrof’ile, une association qui œuvre pour la pleine intégration des arbres au sein des systèmes de production agricoles franciliens. Une offre courte, des horaires réduits : « Cela permet de décrire aux clients ce que nous faisons, et eux-mêmes finissent par expliquer aux nouveaux clients ce qu’on vient acheter ici, explique Maxime. Les mentalités ont vraiment changé depuis que j’ai ouvert : avant, les stagiairespeinaient à faire accepter de travailler au Bricheton par leurs écoles, maintenant les formations proposent de plus en plus d’inclure le travail du levain et des variétés paysannes : c’est rassurant. »
La Demeter, sur la porte de la boutique, a été dessinée par Maarten Donders. L. Allafort
Repères
> Effectif : 3 salariés (Maxime, Guilhem, un apprenti)
> Surface : 28 m2
> Panier moyen : 10€
> Contact mail : lebricheton@gmail.com