Après quelques années d'égarement, la fabrication de viennoiseries retourne dans les fournils et redevient un enjeu stratégique pour la boulangerie. Les touriers sont d'ailleurs actuellement très recherchés et les formations spécialisées ne désemplissent pas. Mais le défi de la rentabilisation demeure plus que jamais présent dans les entreprises car le coût de production reste incompressible et les ventes ont bien du mal à se déporter du sacro-saint dimanche matin. En dehors du croissant, du pain au chocolat ou de la brioche, difficile aussi de déloger les consommateurs de leurs habitudes. Innover, d'accord… mais si les clients ne suivent pas, pourquoi perdre autant d'énergie ?
Snacking Les viennoiseries créatives ont en fait quitté le petit-déjeuner. On les retrouve désormais parmi les pâtisseries de voyage (et même les entremets individuels) ou, en version salée, sous forme de produits à grignoter à l'apéro ou à manger avec une salade. Le goûter des enfants, les solutions dîner, les formules déjeuner ou les ventes à impulsion sont ainsi devenus une occasion privilégiée pour valoriser l'originalité et doper la production de pâtes viennoises. La multiplicité des instants de consommation est une réelle aubaine quand on sait que les pauses alimentaires sont de plus en plus éclatées et diversifiées !La disposition des produits en vitrine doit donc évoluer dans la journée. Après 9 heures (10 heures le week-end), sortez vos productions originales de l'espace « petit déjeuner » et placez-les dans le linéaire à pâtisseries individuelles. Pour lancer vos nouveautés ou les écouler en fin de journée, n'hésitez pas non plus à faire des offres : 3+1 gratuite, 1 ou 2 € l'unité le vendredi, 50 % de réduction après 18 heures… L'effet promotionnel et la disposition des références en magasin (merchandising) sont très efficaces pour sortir les gens de leurs petites habitudes.
Innovation bien ficelée Pour sevrer les accros au traditionnel, il faut les attirer vers des produits décalés et plus modernes (plus gourmands, légers, surprenants…). C'est là que le marketing et la technologie deviennent des outils précieux : ils permettent d'innover avec une certaine réussite commerciale. Les meuniers, qui disposent de ces moyens en interne, sont d'un grand recours. Les « gribouilles » de la minoterie Viron sont un exemple récent évocateur. « Il s'agit de délicieuses mini-ficelles feuilletées sucrées, élaborées à partir d'une pâte à pain de tradition tourée et laminée, avec environ 30 % de beurre en moins. Vendues par quatre (banane-pâte à tartiner, double chocolat, éclats de caramel-beurre salé et pépites de fruits rouges), elles sont à mettre en avant au moment du goûter. Cet instant de consommation est à investir car il est plébiscité par 42 % des moins de 10 ans (étude OpinionWay, 2015) », explique Joël Ruault, directeur commercial des Moulins Viron. Sur le segment du finger food (à grignoter avec les doigts), les petites pièces salées – aux olives, parmesan, façon pizza… – fonctionnent aussi très bien auprès des trentenaires et quadragénaires pour les apéritifs festifs et cocktails dînatoires.
Recettes créatives :les sources• Les stages de formation ;• Les masterclass (cours privésde grands chefs) ;• Les meuniers (formations,conseils, sites Internet…) ;• Les fabricants et distributeursalimentaires (brochures,newsletters, sites Internet…) ;• La presse spécialisée ;• Les ouvrages de chefs ;• Les associations professionnelles ;• Les blogs culinaires et chaînessur Internet.
Recettes de chefs Pour vous accompagner, les fabricants d'ingrédients sont également de plus en plus nombreux à solliciter de grands chefs pour valoriser leurs produits à travers des recettes canon. Les vergers Boiron mettent en ligne par exemple une série de viennoiseries (et pâtisseries de voyage) bien dans l'ère du temps pour valoriser leur dernière innovation fruitée, lauréate des Trophées Europain 2016 : les semi-confits (citron jaune, orange). « Pour aider les artisans à travailler ces produits et à trouver des pistes d'inspiration, nous avons fait appel notamment aux talents créatifs du chef Damien Baccon, boulanger consultant à l'international. Miroir à l'orange, tourbillon noisettes-orange, brioche d'agrumes au sirop d'épices, brioche d'automne… ses recettes mettent à l'honneur la puissance aromatique du fruit. Faciles à mettre en oeuvre au fournil, elles fonctionnent en magasin quel que soit le mode de consommation : petit-déjeuner, pause plaisir du matin ou de l'après-midi, déjeuner sur le pouce… », indique Catherine Bonnardel, chargée de communication chez Les vergers Boiron.
Combinaisons multiples Agrumes ou baies rouges, la tendance du fruit acidulé est intéressante à associer avec la douceur du beurre. Les pâtes levées et/ou feuilletées à base de levain lactique sont aussi en vogue (le levain renforce le goût authentique et allonge la durée de vie). Sur le site de Condifa, allez voir la viennoiserie pomme-yuzu de Thomas Planchot, MOF boulanger 2015 (vidéo en ligne), une création surprenante qui associe la pâte à croissant (au levain) à une pâte sablée croquante coco. Dans le genre, une tendance anglo-saxonne déferle en France : celle des viennoiseries hybrides.cronut (croissant-donut), cragel (croissant-bagel), cruffin (croissant-muffin)… sont quelques-unes de ces pâtisseries conçues sur la base du croissant. Les techniques mixtes, telles que les pâtes levées (à pain, brioche, pain viennois…) et tourées, figurent aujourd'hui parmi les plus grandes révélations. À décliner de mille manières aussi bien en salé qu'en sucré ! En fin de compte, la frontière entre viennoiserie, boulangerie et pâtisserie vole aujourd'hui en éclats.
L'effet gourmandPour les enfants, la couleur est aussi intéressante (dans la pâte, le fourrage ou les inclusions) pour revisiter les classiques en mode festif ou ludique. Attention néanmoins à l'usage excessif de colorants qui peut nuire à l'image santé (les mamans ne sont jamais très loin !). « Afin de ne pas prendre de risque commercial, il vaut mieux ne pas trop s'écarter des codes traditionnels. Pour le pain au chocolat, on peut donner un visuel chocolaté en appliquant sur le feuilletage une fine couche de pâte aromatisée au chocolat. On peut aussi remplacer le bâtonnet de chocolat par un praliné à l'ancienne avec une pointe de sel. L'ensemble donne un produit plus gourmand qui s'intègre parfaitement en vitrine », indique Pascal Gousset, formateur en boulangerie et démonstrateur en « viennoiserie moderne » sur le Lab du boulanger lors du salon Europain 2016. Avec ces quelques clefs d'entrée, l'artisan devrait pouvoir se démarquer et espérer enfin renouer avec la rentabilité.
Viennoiseries: carnet de tendancespar Armand Tandeau (publié le 17 novembre 2016)